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Coup d’état du 2 décembre 1851

 

Journal d’une insurrection dans une ville de province de province

 

 

Pourquoi Clamecy, bourgade du Haut Nivernais, s’est- elle trouvée en bonne place parmi les quelques lo­calités ayant résisté à Louis Napoléon Bonaparte lorsqu’il viole la constitution de 1848 ? Pourquoi un tel déchaînement de violence au nom d’une juste cause ? Pourquoi cette répression plus horrible encore ? Pourquoi 150 ans après, ce sujet demeure-t-il tabou ?

Il ne s’agit pas ici d’exalter ou de fustiger les insurgés de Clamecy, mais de présenter les faits, parfois étranges et absurdes, de cette insurrection avec le maximum d’objectivité.

 


Théâtre de l’action

et des propagandistes

 

Le Clamecy des années 1850 est une petite sous-préfecture de 5000 habitants, nichée au creux des vallées de l’Yonne et du Beuvron. Le cœur de la cité a conservé son caractère médiéval. Chaque quartier abrite une classe différente : les notables occupent la ville haute qui regroupe la mairie, la collégiale, le marché, la prison et les commerces les plus florissants tels ceux du bois de flottage. Les bords de l’Yonne sont occupés par le menu peuple actif et misérable, essentiellement les flotteurs : c’est le quartier de Bethléem. Deux autres fau­bourgs dits du Beuvron et de l’Abreuvoir accueil­lent les artisans, vignerons et maraîchers. Autant de quartiers, autant de petits mondes à part ayant leur lieu de rencontre au café des Colonnes pour les notables, et une multitude de troquets (dont le café Garnier) pour les artisans. Beaucoup d’habitants sont affiliés à des sociétés secrètes dont la plus populaire est la Marianne.

 

Les classes modestes partagent l’espoir que les élections de 1852 porteront au pouvoir des hom­mes capables d’établir une république démocrati­que et sociale. Mais Louis Napoléon Bonaparte, élu président de la République pour 4ans, est non rééligible immédiatement. Il ne veut pas abandon­ner le pouvoir et fomente un coup d’état, le 2 dé­cembre, date anniversaire du sacre de son oncle Napoléon et de la victoire d’Austerlitz.

 

Clamecy, mercredi 3 décembre au matin

 

La Nièvre est en état de siège depuis octobre 1851, ce qui entraîne un certain isolement avec le reste du pays. Le courrier de Paris acheminé à la sau­vette apporte la nouvelle de la dissolution de l’Assemblée législative, la préparation d’une nou­velle constitution et l’organisation d’un plébiscite pour la ratifier. L’ordre est donné aux chefs des  sociétés secrètes de ne pas agir avant qu’un signal leur soit donné. Mais le 3 au soir, un télégramme laconique arrive : “ on se bat à Paris. ” qui va préci­piter le cours des choses. Les affiliés à la Marianne sont convoqués le lendemain à la première heure.

 

Jeudi 4 décembre au matin

 

La réunion au café Garnier, place de Bethléem, est houleuse. Les partisans de l’épreuve de force énoncent clairement leur but : renverser les auto­rités locales, les remplacer par des confédérés âgés, marcher su Auxerre et Joigny, entraîner les répu­blicains, nombreux dans ces deux villes, sur Paris où le succès de la résistance parait certaine.

Certains chefs républicains, en particulier les Mil­lelot père et fils, imprimeurs, tentent de freiner les ardeurs des plus excités. Ils ne veulent pas se lais­ser submerger et souhaitent prendre l’initiative d’une véritable insurrection au moment opportun.

Dans la nuit du ‘ au 5, des affiliés quittent la ville pour chercher des renforts dans les communes voisines. La révolution, si elle a lieu, aura besoin d’hommes nombreux et motivés. Les émissaires s’adressent d’abord aux sociétés secrètes implan­tées un peu partout, puis font appel aux volontai­res…et au racolage ! Au milieu de l’idéalisme et de la conscience politiques des plus évolués, se mêlent inévitablement “ les casseurs ”.

 

Vendredi 5 décembre au matin

 

Les autorités locales conservatrices (sous préfet, procureur de la République, lieutenant de la force publique) se réfugient dans la caserne de la gen­darmerie, en haut de la côte de l’Abreuvoir. Le maire également conservateur et une douzaine de gardes nationaux se rassemblent à l’hôtel de ville, ce qui disperse leurs forces. Les partis antagonistes se préparent à une lutte acharnée.

 

Malgré l’absence de nouvelles venant de l’extérieur, les démocrates fixent l’heure de l’insurrection, ce même jour à 20 heures 30 ; Les chefs font élever une vingtaine de barricades, et porter aux hommes des hameaux voisins l’ordre impératif de se rendre à Clamecy au premier signal. Ce sont les membres des sociétés secrètes qui se montrent les plus réticents. Ils considèrent l’insurrection comme un acte d’insubordination, voire de trahison, si elle est déclenchée par des responsables non affiliés. Ceci peut expliquer l’immobilisme observé chez de nombreux flotteurs de Clamecy et des environs, adhérents à la Ma­rianne. De toutes façons, la tension monte. Des menaces d’arrestation circulent émanant des forces publiques ; elles seront le détonateur de l’insurrection.

 

Le premier acte envisagé par les insurgés est la li­bération des 40 détenus de la prison dont 11 sont incarcérés pour conspiration politique.

 

Vendredi 5 décembre au soir

 

Les frères Millelot, Eugène et Numa, et quelques autres jeunes gens sont réunis au café Garnier, très impatients d’entrer dans l’action. Devançant l’heure officielle, à 18 heures 30, ils accourent au faubourg de Bethléem. Près du pont Jean Rouvet attend un rassemblement de six cents hommes armés de fusils, pistolets, haches, goués, picots et besaigues.

 

Les frères Millelot prennent la tête de la colonne, drapeau rouge en tête et au chant de la Marseille ; tous gravissent les ruelles étroites et sombres me­nant à l’hôtel de ville. Le maire ceint de son écharpe et entouré de ses fidèles se porte au de­vant des manifestants pour parlementer et tempo­riser. Mais les portes de la prison toutes proches sont fracassées à coups de haches, et les personnes libérées viennent grossir les rangs des insurgés. A ce moment une patrouille de gendarmes débouche sur la place : un commandement retentit ; le temps d’une décharge et d’une riposte…Deux gendarmes et un insurgé sont tués et quelques blessés. Qui ont tiré les premiers ? Chaque camp accuse l’autre ; mais il est évident que devant le conseil de guerre, le témoignage des gendarmes prévaudra !

 

Ce qui est certain, c’est que cette fusillade est un tournant est décisif de l’insurrection. Sur la place obscure, les portes de la collégiale Saint Martin sont attaquées à la hache. Le tocsin retentit ; les Hurlements se mêlent au bruit des détonations ; les gardes nationaux s’enfuient et la mairie est en­vahie.

 

Dans la nuit, les insurgés s’entretuent, et la folie du meurtre gagne même ceux qui de sang froid sont d’un caractère pacifique. Des groupes d’ouvriers et de paysans entrent dans les maisons bourgeoises à la recherche d’armes et de munitions. Tout est à craindre dans cette atmosphère dramatique…Mais aucun excès grave n’est commis, ni aucun fait si­gnalé de pillages collectifs ou individuels.

 

Au cours de cette nuit arrivent des renforts venus de toutes parts ; ils sont 2000, 3000, 6000 peut être, avec des motivations diverses, dont la plus forte demeure la défense de la République. Mais il y a ce peuple écrasé par la misère, les brimades et les restrictions de liberté. Pour lui c’est une lutte de classe qui s’engage, une sorte de jacquerie. Et puis il y a inévitablement ceux qui, enrôlés plus ou  moins de force sont là pour faire “ comme les au­tres ” !

 

Samedi 6 décembre au matin

 

Les insurgés interceptent le courrier venant de Pa­ris. Une foudroyante nouvelle tombe : la troupe campée dans la capitale a anéanti toute résistance populaire et refoulé les derniers combattants hors des barrières. Ici, on avait pensé que la lutte serait longue et difficile ; mais nul n’avait imaginé une défaite de la démocratie ! Millelot père, découragé, propose de renvoyer les paysans sur leurs terres et de cesser une insurrection désormais inutile. Son fils Numa estime qu’il convient d’attendre la confirmation de cette invraisemblable nouvelle qui va frapper 5000 hommes les armes à la main dans un département en état de siège ! C’est alors que survient un fait inouï au poste de Bethléem . Le ca­fetier Garnier, exalté ou inconscient, entre au bu­reau de l’octroi, écrit quelques lignes et escaladant la barricade, les lit à la foule amassée : “ Paris a triomphé ; Barbès est à la tête des révolutionnaires. L’assistance hurle sa joie ; mais l’inconséquence d’un tel acte atterre Millelot père, qui pense encore que la vérité doit être connue du peuple. Il révèle le contenu des dépêches ; la foule ne le croit pas, devient hostile, l’accuse de trahison ; il est sur le point d’être fusillé…Arrêter l’émeute devient im­possible. Il faut aller jusqu’au bout, et pour cela, “ continuer à mentir ”.

 

Samedi 6 décembre après midi

 

L’arrivée des renforts, disproportionnés aux possi­bilités d’accueil dans la ville pose des problèmes de nourriture, d’équipement et d’hébergement. Où trouver l’argent ? Une quarantaine d’émeutiers se dirige vers le bureau du receveur des finances et se fait délivrer au nom du peuple une somme de 5000F. Eugène Millelot signe un reçu en bonne et due forme. Cet argent sera peu utilisé, puisque 4760F seront restitués quelques jours plus tard.

 

L’insurrection continue sa marche : les corres­pondances venues du dehors sont interceptées, les réquisitions de pain, de viande et de vin sont sou­vent “ musclées ” On désarme les citoyens sus­pects de sympathie pour le coup d’Etat ; on force un certain nombre à se rendre sur les barrica­des…Un comité révolutionnaire est formé, résolu à continuer la lutte et à résister.

 

Les émeutiers, maîtres de la mairie, sont indécis sur la conduite à tenir à l’égard de la gendarmerie. Une attaque est enfin décidée pour l’après midi. Mais il n’y aura ni siège, ni assaut ; le lieutenant de la force publique ayant quelques sympathies pour les insurgés, s’empresse de rendre les armes, et la garnison s’évanouit dans la nature, à l’exception du gendarme Bidan.

 

C’est un homme simple, qui ne comprend pas pourquoi il a du rendre sa carabine. Il parait sur le perron de la gendarmerie et voit son arme dans les mains d’un jeune insurgé. Il veut la récupérer, ce qui déclenche la colère des manifestants. Il est pré­cipité en bas des escaliers. On tire sur lui : il tombe et se relève. Une seconde puis une troisième dé­charge le font retomber. C’est alors le déchaîne­ment et l’acharnement aveugles d’une foule vocifé­rante. Le corps expirant du gendarme Bidan est transporté à l’hôpital où le médecin dénombre 14 coups mortels donnés avec des armes de fortune : picots, serpettes, hachettes…

 

Dimanche 7 décembre au matin

 

Le tocsin retentit de nouveau. La vigie postée sur la tour de Saint Martin aperçoit au-delà de la barri­cade de l’abreuvoir, environ 120 soldats de 41ème de ligne et 50 cavaliers du 10ème chasseurs, avant –garde d’autres troupes venant de Bourges. Un premier engagement se produit sur le pont du Beuvron : 1 cavalier et 2 émeutiers sont tués. Dans la ville, un découragement profond succède à l’ardeur des jours précédents. Les hommes des communes voisines retournent chez eux. L’approche des troupes et de l’artillerie provoque la réunion du comité révolutionnaire. De vives dis­cussions opposent partisans de la reddition et par­tisans de l’évacuation ; c’est cette dernière solution qui l’emporte..

 

Bien que les barricades soient gardées, un affron­tement avec la troupe est peu probable. A la faveur de la nuit, chacun effectue sa retraite. Les uns dé­posent leurs armes à la mairie, d’autres les jettent dans la rivière. Beaucoup vont se cacher dans les bois alentours. A minuit, toutes les rues sont de­venues silencieuses et désertes

 

Lundi 8 décembre

 

Les nombreuses barricades disparaissent. L’insurrection est virtuellement terminée. L’entrée des troupes dans une ville quasiment morte n’est qu’une “ parade militaire ”. La population ressort comme soulagée. Elle ne le sera pas longtemps. Immédiatement est affichée une proclamation du Préfet dont voici quelques extraits : “ Habitants de Clamecy – Des bandits, des  factieux, des assassins ont jeté le deuil sur Clamecy les 5-6-7 décembre. Des citoyens hono­rables, des vieillards, des enfants, des gendarmes ont été massacrés, des habitations dévastées…Le sang le plus hono­rable crie vengeance. La punition sera éclatante.[…] Tous les rassemblements sont interdits ; ils seront immédiatement dispersés par les armes. Tous les cafés et cabarets du canton de Clamecy sont fermés.

 

Les habitants de Clamecy me(le préfet) trouveront toujours tel qu’ils m’ont connu dans les mouvements insurrectionnels de 1836 et 1837, inflexible dans la volonté de pu­nir les factieux qui ne veulent que le pillage, le meurtre et la destruction ”. 

 

Mardi 9 décembre

 

Les habitants nombreux assistent aux obsèques des deux gendarmes tués dans la soirée du 5 dé­cembre. Des patrouilles fouillent la ville et les envi­rons à la recherche des insurgés 200 personnes sont arrêtées ce jour, et enfermées dans les caves de l’asile, couchés sur la paille et sans couverture pour se couvrir, sans nourriture pendant plusieurs jours.

 

Outre une propagande tourne des événements, transformés en barbares odieux : ecclésiastiques coupé en morceaux, 70 cadavres, nombreux viols, dont la “ femme ” du sous préfet, qui était céliba­taire !

 

Les récits font une surenchère d’invraisemblance, et malheureusement lors des jugements, le délit d’opinion primera sur celui de l’insurrection.

 

Epilogue

 

Les perquisitions et les arrestations se succèdent. Les détenus sont traduits devant un conseil de guerre ; puis à partir de février 1852 , devant une commission militaire. Parmi les condamnés à mort, Eugène Millelot, qui s’évade, puis revient se constituer prisonnier. Sa peine  est commuée en déportation à Cayenne où il meurt trois jours après son arrivée. Millelot père et son fils Numa sont condamnés à la forteresse. Numa sera gracié et mourra en 1895. Il repose au cimetière de Cla­mecy.

 

La “ Pyramide ou Colonne ” est élevée sur la butte du Crôt Pinçon, le 21 septembre 1884, sur le lieu même de l’exécution de deux condamnés à mort. Y figurent les renseignements suivants, formant l’épilogue de cette mémorable résistance au coup d’Etat du 2 décembre 1851.



Colonne


 


 

Le conseil de guerre a condamné

 

§         6 citoyens à la peine de mort, dont deux exécutés à cette place.

§         7condamnés aux travaux forcés à perpé­tuité.

§         3 condamnés aux travaux forcés à temps

§         28 condamnés à la déportation dans un fort

§         16 condamnés à la déportation simple

§         3 condamnés à surveillance

 

La commission militaire a désigné

 

§         312 pour la déportation à Cayenne

§         pour la déportation en Afrique, principale­ment en Algérie

§         282 ont été remis en liberté

§         884 citoyens de l’arrondissement ont été victimes du crime de Bonaparte

 

Sur la face avant de la colonne, la dédicace suivante :

 

“ L’assemblée nationale confie le dépôt de la Constitution

                Au patriotisme de tous les français.

             (article 110 : constitution de 1848) ”

 

 

Bibliographie :

·         Clamecy et l’évêché de Bethléem – Com­mandant R. Surugues (1925).

·         Les éphémérides clamecycoises de Sonnié-Moret (1872).

·         Le coup d’état du 2 décembre 1851 : bulletin de la Société scientifique et artistique de Clamecy.

·         Réaction au coup d’Etat de 1851 : confé­rence de Jacques Dupont à la Morvandelle (20/01/2001).

·         le coup d’Etat – Numa Millelot.

 

 

 

© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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