Claude Tillier
Père de « Mon Oncle
Benjamin »
« Quand
nous arrivons au tribunal suprême, Dieu ne nous demande pas quel nombre
d’hectares nous avons possédé, combien nous avions de billets dans notre
portefeuille, à quelle dignité nous avons été élevés, mais quel bien nous avons
fait à nos frères. Celui qui peut répondre : j’ai travaillé à leur
affranchissement a certes des droits à sa bienveillance »
Claude Tillier. « L’Association ». 30 avril 1843
Claude Tillier est né à Clamecy le 11 avril
1801. Sa famille, modeste, est implantée dans la ville depuis le 17è siècle. Sa
maison natale, au cœur de la vieille ville, a disparu ; mais l’ensemble du
quartier est demeuré identique. Il commence sa scolarité au collège de Clamecy.
Il continue des études secondaires au lycée de Bourges en tant que boursier. Il
est Bachelier ès-lettres en 1819 et devient maître d’études. Sa vie de pion à
Paris pourrait être celle du « Bachelier » de Jules Vallès.
Il
fait une demande pour rentrer dans l’enseignement officiel, ce qui le dispense
du service militaire. Pourtant admis, il renonce pour des raisons obscures. Il
tire alors au sort le numéro 1 et doit accomplir cinq ans de service. Il
participe à la guerre d’Espagne en 1823. De retour à Clamecy en 1828, il se
marie et a 4 enfants. Tillier, républicain dans l’âme, est déçu par les suites
de la révolution de 1830, et par cette société bourgeoise personnifiée de façon
caricaturale par Louis-Philippe, qui suit à la lettre les conseils de
Guizot : « Enrichissez-vous ». Ce
à quoi répond l’écrivain : « Nous autres, les Tillier, nous sommes de
ce bois dur et noueux dont sont fait les pauvres. Mes deux grands-pères étaient
pauvres, mon père était pauvre, moi je suis pauvre : il ne faut pas que
mes enfants dérogent. »
De
retour à Clamecy, il ouvre une école privée recevant re une cinquantaine
d’élèves : 20 fils de bourgeois, 20 fils de commerçants et une dizaine de
fils d’ouvriers et de flotteurs. Il innove en créant des cours du soir où il
accueille les illettrés, retenus toute la journée au port ou à l’atelier, ce
qui lui vaut la gratitude des humbles.
A
partir de 1831, il collabore à « l’Indépendant », hebdomadaire
d’opposition où il se montre peu tendre à l’égard des puissants de la ville. Il
se fait de nombreux ennemis. Ceux des parents d’élèves qui « tiennent le
haut du pavé » ne lui pardonnent ni son attitude,
ni ses propos caustiques. Les bourgeois d’abord, les commerçants ensuite lui
retirent leurs enfants. Seuls restent les enfants d’ouvriers et de flotteurs
dont on ne peut attendre une rétribution suffisante pour faire vivre la
famille.
Il décide de vivre de sa plume et prend à Nevers la direction de « l’Association », journal d’opposition où il écrit de nombreux pamphlets, c’est à dire de courts écrits satiriques attaquant la religion, les institutions et les personnalités en vue.
Les « Bêtes Noires » de
Claude Tillier
Tout
d’abord le juge de paix Paillet. Sa manie des calembours, sa silhouette
ventripotente et… sa canne qu’il semble toujours poursuivre en font une proie facile
pour Tillier qui ne lui pardonne pas de l’avoir condamné plusieurs fois. Le
juge est mis hors de combat quand le pamphlétaire le désigne comme le
« candidat des prêtres » lors d’élections mu
Dupin
l’Aîné est un adversaire plus redoutable. Issus d’une famille bourgeoise de
Varzy, les trois frères Dupin font de brillantes carrières dans la politique,
les sciences et la magistrature . On rapporte que
Mme. Dupin mère voulut faire graver sur sa tombe : « Ci-git la mère
des trois Dupin » !
L’ennemi de Tillier est l’aîné, André Dupin, homme politique qui sert successivement tous les gouvernements de la France, du Premier au Second Empire. Trois violents pamphlets lui sont consacrés. Dans « le flotteur Brèchedent », Dupin apparaît comme un égoïste, vaniteux, parlant avec emphases de sujets qu’il connaît mal. « Le comice agricole a alloué quarante francs qu domestique le plus moral, et deux cents francs au cheval de selle le plus rapide. Vous entendez bien ! Quarante francs pour la vertu d’un homme et deux cent francs pour la vitesse d’un cheval ! Et cela est signé : « Dupin Aîné ». C’est ce que Tillier appelle « piquer au museau l’énorme mammouth » ! Ce pamphlet n’est qu’une suite de traits semblables. A tel point que le procureur du Roi à Nevers offre au député de poursuivre l’auteur. Dupin, il faut le dire, repousse cette offre.
Monseigneur
Dufêtre commence sa carrière comme organisateur de Missions. Il entraîne des
milliers de chrétiens à des communions générales au cours desquelles on brûle
de « mauvais » livres. En 1842, il est nommé évêque de Nevers et
devient une des cibles privilégiées du pamphlétaire. Dans « Quelques mots
sur un mandement », Tillier aborde pour la première fois des problèmes
religieux en rapport avec les missions étrangères et la Propagation de la Foi,
auxquelles le clergé nivernais n’est guère sensible. « Lui (Mgr. Dufêtre),
notre vénérable évêque, ne pouvait se contenter de ces misérables quatre mille
francs, et il nous a très bien fait comprendre avec sa parole facile que le
département serait damné corps et biens s’il ne quadruplait pas son
aumône. » « Une œuvre qui a l’approbation de notre vertueux prélat ne
peut être qu’une œuvre excellente. Jésus a dit : ‘ Il
ne faut pas jeter aux chiens le pain des enfants ‘. Nous sommes bien sûrs
que M. Dufêtre a par devers lui une
autorité plus respectable que celle de Jésus Christ qui, après tout, n’a jamais
été évêque, qui avait très peu étudié la théologie et qui n’eût peut être pas
été reçu Docteur en Sorbonne ». On voit la violence des attaques de
Tillier dans « l’Association ». Les actionnaires du journal ne
tardent pas à entrer en conflit avec le
nouvel évêque, protégé par le procureur du Roi. Cette nouvelle forme de
polémique est sans doute la cause principale de la disparition du journal et la
fin d’une certaine forme de journalisme à Nevers.
L’œuvre
la plus célèbre de Claude Tillier est « Mon Oncle Benjamin », située
à Clamecy. C’est un roman pamphlétaire se déroulant sous le règne de Louis XV,
ménageant ainsi la susceptibilité des acteurs encore vivants et connus.
Le
docteur Benjamin Rathery soigne les pauvres sans se faire payer, et a son
franc-parler avec les ruches. C’est un homme libre, bon vivant, roturier, une
sorte de Figaro volontiers insolent, qui méprise le pouvoir de l’argent. Il y a
beaucoup de Voltaire et de Beaumarchais dans ce livre. L’intrigue est très
mince.
La
sœur de Benjamin Rathery le pousse à se marier avec Arabelle, fille du vieux
docteur Minxit de Corvol l’Orgueilleux, pour faire une fin. Rathery a horreur
du mariage ; Arabelle se laisse séduire par M. de Pont Cassé et s’enfuit
avec lui. Ce dernier est tué dans une rixe et la demoiselle meurt au cours d’un
accouchement prématuré. Le chagrin emporte le docteur Minxit, qui convie ses
amis à un dernier repas au cours duquel chacun prononce l’éloge funèbre qu’il
fera sur sa tombe.
De
nos jours, on peut encore suivre les itinéraires de Rathery : Moulot, ou
les habitants (les habêtés) le prennent pour le Juif Errant ; Saint-Pierre
du Mont où s’élevait le château du seigneur de Cambyse ; les pentes de la
colline en direction de Flez où Tillier possède un pré qui lui rapporte chaque
année, selon les coutumes locales, un poulet « à la Nouël », un autre
pour Pâques et quelques roulées (œufs recueillis pendant la Semaine Sainte). De
la route de Courcelles à Ouagnes, on imagine Benjamin dévalant la colline après
sa « mauvaise affaire » chez Cambyse où il doit baiser les parties
charnues du marquis, action voulue pour affirmer l’arbitraire des nobles.
La
phtisie qui minait Claude Tillier depuis plusieurs années ne lui laisse plus de
répit. Il rêve de revoir Clamecy ; il y revient quelques jours à la
mi-septembre 1844. Il rentre à Nevers le 8 octobre et meurt le 12 octobre dans
le dénuement.
Cet
écrivain « effrayait » de son vivant pour ses idées républicaines et
sa veine satirique, mais est-ce une raison suffisante pour expliquer le silence
qui pesa sur sa personne ? Le fait qu’il n’ait jamais voulu quitter sa
Nièvre natale et sa misanthropie ont peut être
contribué à cet isolement.
En
1905, son buste est inauguré sur la place du Grand Marché à Clamecy. Le
discours d’usage est prononcé par Jules Renard. Sur les cartes postales
commémorant l’événement, son patronyme est transformé en FILLIER !
L’ensemble orné d’un petit faune, d’un encrier, du fouet de la satire et du
mascaron figurant le Beuvron (affluent de l’Yonne à Clamecy), couronné de
roseaux, est parfaitement intégré au vieux Clamecy. On a sauvé ce bronze à l’arrivée
des allemands en l’immergeant dans l’Yonne. Mais l’été suivant, les basses eaux
le découvrent. Quelques intrépides Clamecycois retirent le buste à la barbe des
occupants qui prenaient leurs bains de soleil près de là.
Dans
les années 1960, Jules Roy proteste vivement auprès de la direction du
dictionnaire Larousse, qui vient de faire disparaître le nom de Claude Tillier
de ses parutions. La postérité n’en a pas encore fini avec cet auteur…
En
1969, Edouard Molinaro porte à l’écran, « Mon Oncle Benjamin », avec
Que
nous réserve la célébration du bicentenaire de la naissance du pamphlétaire
Clamecycois ? Nettoyage du monument (refuge favori des pigeons), remise en
eau de la fontaine, quelques fleurs, quelques discours prononcés par d’éminents
membres des sociétés savantes du cru ? Les tenanciers du café « Mon
Oncle Benjamin » essaient de secouer l’apathie de leurs compatriotes. Mais
comme dit l ‘adage : « Nul n’est prophète dans son pays ».
Bibliographie :
-
« Un
Certain Claude Tillier ». Bulletin n°13 (nouvelle série) de la Société
Scientifique et Artistique de Clamecy.
-
« Les
demeures inspirées : Claude Tillier » Edition de l’Illustration.
-
« Mon
oncle Benjamin » de Claude Tillier. L’Edition Moderne.