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Coche d’eau et Diligence

 

Dans les années prospères du flottage des bois du Morvan vers Paris, les « compagnons de rivière » conduisant les trains de bois gagnaient 3F par jour, ( un « voyage » pouvait durer de 4 à 8 jours) ; et en plus leurs frais de retour. Pour « rentrer au pays », le moyen le plus économique était naturellement la route : 4 étapes de 52km. à  pied pour Clamecy. Ils pouvaient également utiliser le coche d’eau jusqu’à Auxerre, puis une diligence.

 

Le coche d’eau reliait chaque semaine Auxerre à la capitale, et vice versa, depuis le début du 17ème siècle. L’arrivée et le départ du coche furent la grande attraction du pays pendant deux siècles.

 

C’est en effet le 26 janvier 1620, que Charles de Loménie obtient du Roi, la concession à perpétuité du droit exclusif du transport par eau des personnes entre Auxerre et Paris avec deux bateaux. Mais le départ du premier coche n’eut lieu que le 1er janvier 1635.

 

Le bateau hâlé par des chevaux partait d’Auxerre tous les vendredis à 9 heures précises pour arriver à Paris le mercredi à 5 heures du soir. L’autre bateau partait de Paris chaque vendredi à 9 heures, mais arrivait à Auxerre que le jeudi suivant à 5 heures du soir, un jour de plus étant nécessaire pour remonter le courant.

 

Le coche était un bateau plat couvert et divisé en cabines, dont quatre pour les voyageurs, une pour le représentant de l’entrepreneur, et l’autre pour la vivandière. Les voyageurs pouvaient apporter leur matelas pour la nuit. Le commis transporteur faisait fonction de capitaine du bateau et avait des pouvoirs de police, notamment ceux de débarquer les voyageurs turbulents ou inconvenants. Il veillait la nuit à l’extinction des lumières, sauf une chandelle qui brûlait sur une plaque de fer au milieu du « grand commun ». La vivandière assurait la subsistance à bord et fournissait des tables et des cartes aux joueurs

 

Ce voyage était très agréable en été, mais peu confortable en hiver par temps de bruine et de pluie. Les voyageurs avaient en effet peu d’espace pour se dégourdir les jambes et il en résultait une certaine promiscuité qu n’était pas du goût des voyageurs délicats. La grande distraction à bord était le croisement des deux coches : tous les voyageurs montés sur le tillac se souhaitaient bon voyage et échangeaient d’ironiques propos.

 

Pendant deux siècles, les histoires du coche d’eau défrayèrent les conversations des gens d’Auxerre, car ce mode de transport fut fertile en incidents de tous genres, souvent dramatiques. Ce moyen de locomotion fut définitivement supprimé au milieu du 19ème siècle et remplacé par le chemin de fer.

 

Indiscutablement, le départ de cette lourde carrosserie appelée diligence offrait un spectacle pittoresque. Tout d’abord le postillon : « licheur de piot » comme il se doit, et « coureur de filles comme il s’entend. Il est vêtu d’une petite veste bleu roi avec collet, revers, parements et retroussis de drap rouge, chapeau à cocarde, jambes emprisonnées dans de profonds houzaux garnis de foin…Il surveille les différentes manœuvres du seuil de l’hostellerie de la Tour d’Orbandelle.

 

Sur la place s’affairent les employés de l’Administration des Messageries : garçons d’écurie, graisseurs, portefaix… Et naturellement une foule de badauds grouillant autour du véhicule.

Un commis empile les bagages sous la bâche noircie. Au choix : des places dans le coupé, les plus chères, et celles sur la rotonde, baptisée « impériale », plus économiques car ne coûtant que 11 centimes au kilomètre.

 

Les palefreniers attèlent les sept percherons piaffant d’impatience. Le postillon monte sur l’un d’eux. Le conducteur embouche sa trompe ; la corne sonne et le convoi s’ébranle dans un concert de grelots.

 

L’itinéraire zigzague empruntant grandes routes et petits chemins « pittoresques ». L’allure est sage ; deux lieues à l’heure (plus ou moins 8km)    

 

On arrive au premier relais : pendant que l’on change de chevaux, conducteur et postillons honorent les vins fruités des coteaux de l’Auxerrois.

 

La diligence s’ébranle à  nouveau. Les voyageurs se sont assoupis et le postillon s’éponge le front. Dame, le vin d’Irancy est comme celui de Montmartre :

 

                                                    Qui en boit pinte,

                                                     En pisse quatre

                                                     Et en sue presque autant

 

Le convoi file à travers forêts et vignes. Puis le postillon se raidit, le conducteur embouche sa trompe ; on arrête à un relais pour goûter sur le pouce d’une omelette au jambon…Mais le temps est compté ; les chevaux frais …En voiture, s’il vous plait. Les reins sont douloureux ; mais il faut tenir jusqu’au prochain arrêt où l’on abandonnera le brillant équipage des Messageries Royales pour une vétuste patache de troisième classe attelée à trois haridelles, et un postillon au costume râpé. Plus de trompette claironnante signalant le passage de la diligence, mais de nombreux et vigoureux claquements de fouet…

 

Et puis des bois, encore des bois, l’or des genêts et la pourpre des bruyères chers à J.J. Rousseau. La route file droit vers Clamecy ; la patache fonce brutalement dans le dédale des ruelles jusqu’à une enseigne se balançant au bout d’une chaîne rouillée. Le conducteur s’empresse d’installer les voyageurs à l’hostellerie où ils doivent passer la nuit.

 

On chante et on trinque à la gloire de St. Crépin, roi de la cordonnerie ! A Ste. Anne, reine des menuisiers ! A St. Fiacre, protecteur des jardiniers et à St. Honoré, providence des boulangers ! A St. Eloi, prince des forgerons et à St. Nicolas, dieu des mariniers et des flotteurs…Autant de « santé », autant de pichets…

 

La tête lourde, les voyageurs gagnent leurs chambres ; et faisant fi des draps d’une blancheur parfois douteuse, ils se roulent dans leurs propres couvertures et s’endorment en rêvant à la suite de leur périple vers les Amognes (environs de Nevers) où ils arriveront peut-être demain au gré des routes tortueuses.

 

                                                                                              Annie Delaitre-Rélu

                                                                                     (d’après les écrits de Jean Drouillet,

                                                                                            recueillis par Jean Rélu)

                                                                   


© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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