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La Collégiale Saint-Martin

et sa Tour

 

L’église primitive, érigée en paroisse au commencement du 9ème siècle fut probablement reconstruite dans le style roman au même emplacement, lorsqu’en 1075, Vuido(ou Guy) , premier vicomte de Clamecy fonde un collège de huit chanoines. Il vient ainsi rehausser l’éclat des fêtes religieuses. Le livre de Fabrique (la Fabrique étant l’ensemble des clercs et laïcs chargés d’administrer les fonds et revenus affectés à l’entretien d’une église) mentionne un « Rituel » de 96 articles spécifiques des cérémonies liturgiques à ST. Martin, ainsi qu’un « Cérémonial » concernant les processions. D’importants travaux furent effectués grâce « à la piété et la magnificence des seuls habitants de Clamecy ». La première pierre du portail actuel posée le 9 juin 1515 ; à cette date, la Tour est déjà édifiée. La commémoration de l’événement figurait autrefois, gravée sur un des piliers de l’ancien jubé :

 

« MIL cinq cents, moins trois seulement

Fut de la Tour de cette église

En avril, pris de fondement

Et la première pierre assise.

Laquelle Tour fut entreprise

Le lundy de Pasques la grande

Vostre aulmône soit ici mise

Tant que puis vous le commande ».

 

Pierre cuvée (ou Couvé), maître tailleur de pierres, fut l’architecte de la Tour construite en pierres calcaires provenant des roches de Basseville. Il se serait tué en tombant de l’échafaudage de cette tour. Sa statue est bien connue des Clamecycois. : en tenue du  XVème siècle, « il tient à la main droite un rouleau de papier en partie déployée sur lequel est placé un plan, vraisemblablement celui de l’église. »

 

Au 17ème siècle, les pluies et les intempéries ayant érodé cette statue, les habitants de la ville voient qu’il s’agit de l’effigie du duc de Nevers, alors fort impopulaire, et la saluent ironiquement en criant « à bas le Duc », expression qui devient dans le langage populaire « A baldu ». Les Clamecycois sont fiers à juste titre de leur Tour, de son élégance, de ses galeries dentelées et du petit clocher carré ajouté en 1791 pour y loger la cloche de la chartreuse de Basseville, destinée à ponctuer les heures et à sonner le tocsin ; mais, ils n’apprécient guère sa toiture à double pente flanquée de deux girouettes peu esthétiques.

 

Ce chef d’œuvre faillit disparaître durant la Terreur de 1793 ». Fouché, sans scrupule, ayant ordonné de décapiter les clochers sous prétexte d’égalité, le « club des Jacobins » de la ville décide de sa destruction. Mais les moyens d’assurer sa démolition s’avèrent difficiles. Nait alors l’idée ingénieuse de briser les gouttières : «  Les eaux n’ayant plus d écoulements extérieurs s’infiltreront dans la maçonnerie, la détruiront rapidement sans peine et sans frais… » Alors on brisa les quarante « chèvres » ou gargouilles et on mutila les statues. Il est difficile de concevoir les méfaits du fanatisme sans frein lorsqu’il est attisé par la passion…Après la Révolution, on remplaça les « chèvres » par des chêneaux de fer blanc qui subsistèrent jusqu’en 1840, où le célèbre architecte Viollet-le-Duc entreprit la restauration du monument.

 

 

 

L’histoire de la Tour ne manque pas d’anecdotes. L’un des plus dramatiques épisodes date du XVIIème siècle. Les Clamecycois faisaient son ascension en pèlerinage le 4 décembre, jour de la Sainte Barbe. En 1654, un « plaisantin » sème des pois ronds sur les marches de l’escalier à vis ; cette farce stupide et dangereuse entraîna la chute de pèlerins en si grand nombre qu’il y eut amoncellement de blessés entraînant la mort de plusieurs personnes par étouffements

 

Les cloches de la collégiale St Martin

 

Un souvenir personnel me rattache aux cloches de la Tour. L’année 1943 est faste en événements familiaux : ma communion  solennelle, le 20 juin, et le baptême de mon frère, le 15 août. A cette occasion, et par « faveur spéciale », le Chanoine Emile Cortin, qui a présidé ces deux fêtes me permet d’appuyer sur quelques boutons électriques qui déclenchèrent l’une des plus belles sonneries du diocèse !

 

« le troisième jour de septembre mil cinq cents quatre vingt et quinze, fut béniste et consacrée pour le service de Dieu et de son église, la grosse cloche de l’église St. Martin de cette ville, en nombreuse et notable assistance du peuple et habitans dud. Clamecy et aultres circonvoisins par moy soubzsigné Chantre-curé et Chanoine en l’église dud-Clamecy et fut nosmmée « Martine –Henriette »  Les registres baptistères de la paroisse mentionnent à la suite les noms du parrain et des deux marraines. Cette particularité des deux marraines pour une cloche est empruntée au cérémonial des baptêmes ordinaires, où il était alors d’usage de donner deux parrains pour un garçon et deux marraines pour une fille.

 

Le livre de Fabrique nous indique que le 18 novembre 1778, deux grosses cloches sont baptisées à l’occasion de la visite du  duc et de la duchesse de Nevers, parrain et marraine d’une nouvelle « Martine ». Au moment de la Révolution, elles sont au nombre de cinq, les grosses étant Marie, Martine et Gabrielle. Fouché (toujours lui !) en mission dans la Nièvre prescrit aux municipalités par arrêté du 5 août 1793, de faire descendre les cloches, sauf une, pour les convertir en canons. A Clamecy, les autorités connaissant l’attachement de la population à leurs cloches, font la sourde oreille ! Mais le 15 août suivant, Fouché arrive dans la ville et manifeste son mécontentement : « Le représentant du peuple requiert la Municipalité de descendre promptement les cloches superflues qui sont dans les clochers. Elles ne font que fatiguer les oreilles des patriotes ; il vaut mieux les convertir en canons. Le son des cloches est le signal du fanatisme. Qu’elles soient transformées soudain, ainsi que l’airain et le bronze qui surchargent les temples de la Divinité, en tonnerre terrible qui foudroie tous nos ennemis. »

 

Les dirigeants doivent obéir ; et Marie, Gabrielle et deux autres sont ainsi descendues, laissant seule Martine en haut de la Tour. Cette dernière ayant été fêlée lors de l’insurrection  de décembre 1851, fut refondue en 1857. La même années, trois cloches exactement semblables aux précédentes et portant le même nom de Martine- Henriette, Marie et Gabrielle, baptisées le 1è décembre par Monseigneur Dufêtre, évêque de Nevers, et ennemi intime de l’écrivain clamecycois Claude Tillier.

 

La cloche de la Chartreuse de Basseville semble avoir échappé au massacre de 1793. 

 

 

La Martine, 6 juin 1930

 

Au 19ème siècle, à Clamecy, les sonneurs de cloches étaient tisserands, sans doute, parce que leur quartier était proche de la collégiale. Ils disparaissent peu à peu à cause de la mécanisation des métiers ; et le « privilège des sonneries » passe à la corporation des cordonniers nombreux dans cette ville, flotteurs et mariniers étant grands consommateurs de souliers de fatigue. Mais le flottage s’étant raréfié, les cordonniers également. En 1928, l’équipe des sonneurs était réduite à deux octogénaires se faisant aider par les « Jeunes de la Catho » dont faisait partie mon père.

 

C’est alors que le chanoine Cortin, archiprêtre de la Collègiale et Charles Milandre, venu prendre sa retraite d’ingénieur dans sa ville natale, mettent au point un projet d’électrification des cloches approuvé fin 1929  par le conseil paroissial.

 

Les sonneries exécutées à Clamecy étaient séculaires et complexes, en particulier pour les cérémonies funèbres, le nombre de coups du glas variant suivant l’âge et le sexe…Une entreprise spécialisée parisienne assura le travail délicat de programmer les tintements des cinq cloches et la mise en volée (carillon) des trois grosses : Martine, Marie et Gabrielle. Il serait trop long de décrire les différentes phases de ces travaux et leurs difficultés, tels le passage des câbles à travers de la muraille nord de la Tour, épaisse de 1,20 mètres et faite de calcaire très dur.

 

L’affaire fut menée rondement : autorisation demandée le 20 mars 1930 est obtenue le 8 avril suivant. Fin mai, les artisans clamecycois, charpentiers, serruriers, mécaniciens et électriciens avaient achevé les parties leur incombant. Le 1er juin, les spécialistes raccordaient leurs appareils aux canalisations électriques. Le vendredi 6 juin 1930 à 16 heures, la Martine était mise en branle ; et le 7 juin, la mise en volée des trois grosses cloches à l’Angélus de Midi, annonçait la fête de la Pentecôte du lendemain. Une page de l’histoire locale et de ses sonneries était tournée.

 

Le 16 juin 1940, quelques obus allemands ébranlaient la Tour. Malgré sa réfection, elle n’est plus assez solide pour supporter les sonneries de grande volée qui accompagnaient auparavant les joies et les peines des Clamecycois, ainsi que les fêtes des Vaux d’Yonne célébrant les fastes de la Patrie, pour la plus grande gloire de Dieu.


© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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