Notes manuscrites
de Jean Rélu
sur les coutumes du Morvan
« Rien n’est plus agréable que d’écrire pour son petit pays » — Jules Renard.
H |
ier, c’était avant la guerre 14. Ils n’ont pas tort les
sociologues, qui prétendent que la vie sociale et économique a plus évolué de
1914 à nos jours (vers les années 1970), que de l’époque romaine à 1914.
Aujourd’hui, c’est
Des choses millénaires ont disparu ou ont perdu leur sens profond. Le Foyer par exemple : que signifiera ce mot pour ceux qui n’auront connu que le chauffage central. Et pourtant depuis des siècles, le foyer était quelque chose de divin lié au culte des anciens. C’était l’âme de la famille. Cette expression : « Il y a tant de foyers ou de tant de feux dans le village », pour dire il y a tant de maisons de familles. Le feu clair joyeux chauffait, égayait, servait à la cuisson des aliments. C’était le centre de la maison comme l’autel dans une église. Le chauffage central peut donner du confort, mais il n’a lui, aucune signification.
La maison elle-même ; quelle différence entre celle d’hier et d’aujourd’hui, et surtout celle de demain. La maison de l’artisan, du commerçant, l’hôtel du bourgeois, le château du seigneur étaient des logements familiaux. Le H.L.M. sans cave où mûrit le vin, sans grenier où dorment les choses du passé, avec ses promiscuités et ses bruits n’a rien d’humain. Que restera-t-il de la famille dans les termitières de demain où tout est collectif : chauffage, cuisine, dortoir, W.C. et vide-ordures. Dans ces maisons, meubles en contre plaqués, sans style, passe partout, remplacent les beaux meubles solides d’autrefois.
Par contre l’électricité, le gaz ont apporté un confort, des facilités jusque là ignorés. On ne peut regretter les grosses lampes à pétrole qui filaient et puaient, les lampes « Pigeon » que l’on promenait dans les caves, les chambres à coucher. Aujourd’hui, peut-on se passer de l’auto, du frigo, de l’aspirateur, de la cuisinière électrique et de la télé ?
Dans les vêtements féminins, l’évolution est guère moins grande ; pourtant les femmes d’hier n’étaient pas moins coquettes que celles d’aujourd’hui. Et quand une élégante de l’époque traversait le boulevard en relevant sa jupe juste pour faire voir une jambe bien faite, elle soulevait plus d’admiration masculine que certaines dames d’aujourd’hui qui s’exposent beaucoup généreusement. Ce qui fait penser que la femme n’augmente pas sa beauté en diminuant son mystère. Il y avait plus de tenue peut-être, plus de raideur ; aujourd’hui, il y a plus d’aisance, mais aussi plus de débraillé.
Dans la vie économique et surtout agricole, c’était encore le travail antique, les gestes beaux, mais lents et paisibles : coupe du blé au dard, liage des gerbes, battage rudimentaire. On ne verra plus que dans les tableaux de Rosa Bonheur et dans les romans de George Sand, les puissants attelages de bœufs au labour, que personnellement je n’ai jamais vu, mais trois ou quatre chevaux à la charrue. Les artisans ruraux : maréchal, forgeron, charron ont disparu ; les villages se vident. Ce qui reste immuable, c’est la pompe à finances ; les gouvernements se suivent et se ressemblent pour resserrer sans merci la vis du pressoir administratif.
Depuis des siècles, les bœufs traînaient les chariots, les chevaux couraient sur les routes, le vent gonflait les voiles, l’eau et le vent faisaient tourner les moulins et les hommes actionnaient les outils. C’est maintenant la vapeur, l’essence, l’électricité, l’uranium qui remplace ces forces naturelles. L’auto, l’avion, la fusée, tout cela promet des jouissances inespérées, donnent des satisfactions inconnues. Le progrès est immense, incommensurable ; il ne semble pas avoir de limite. On entrevoit un confort terrestre, où le travail sera remplacé par des loisirs et où l’état providence assurera à tous, le pain et les distractions. Et cependant ne peut-on pas craindre que l’homme moderne ne devienne la victime des machines qu’il a construites, et que l’homme en se matérialisant ne tombe sous le joug de forces aveugles d’une nouvelle barbarie.
Dès maintenant nos enfants sont-ils plus heureux, plus
satisfaits, moins envieux ? Les statistiques nous apprennent que sur 1000
décès, il y en a 300 dus aux maladies de cœur et de circulation ; les
dépressions nerveuses sont courantes ; les asiles d’aliénés sont pleins,
et sur 100 lits dans les hôpitaux, 40 sont occupés par des malades mentaux. Il
semble que l’homme paie avec sa santé, avec sa liberté, avec sa tranquillité,
le confort et les jouissances que lui apporte le progrès. On connaît la boutade
d’Anatole France : « les malheureux,
ils ne connaissent pas Virgile et ils se croient heureux parce qu’ils ont des
ascenseurs. »
Les hommes n’ont pas trouvé de signe d’union plus expressif
que celui de se rassembler pour prendre ainsi rapprochés une nourriture
commune. Joseph de Maistre écrit : « Vous serez peut-être
étonnés de voir commencer ces souvenirs par ceux se rapportant à la cuisine.
Cela peut paraître vulgaire et déplacé. Je me permets d’être d’un avis
différent. Avec Pierre de Pressac, auteur d’un beau
livre sur les forces historiques de
Qu’on le veuille ou non, la nourriture a une importance
qu’on ne peut nier. Jules Renard par la bouche de
On a beaucoup parlé de la frugalité de nos ancêtres. On les a dit mangeurs de racines. Il m’a fallu lire des auteurs canadiens, pays où l’on parle le français du XVII siècle pour apprendre que l’on appelait ainsi les carottes, navets et autres légumes. L’abbé Baudiau, curé de Planchez au début du XIX e siècle dépeint ses compatriotes jouissant d’une santé robuste, vivant longtemps avec un teint frais et vermeil.
D’ailleurs un paysan, tant soit peut qu’il ait de la terre
sous ses sabots, ne meurt pas de faim. Il a tellement de choses à sa
disposition chez lui et autour de lui. A la frugalité ordinaire, il faisait de
fameux accrocs pour les fêtes de gueule ; et croyez moi, elles étaient
nombreuses. On mangeait, on buvait à s’en faire « péter la sous ventrière. »
C’est d’ailleurs une tradition qui vient de loin. Elle n’a pas été inventée par
Rabelais. Son Pantagruel ne faisait que personnaliser nos francs buveurs et
grands mangeurs. Je crois que cette tradition ancienne s’est développée au XVII
siècle, favorisée par la prospérité résultant de l’invention du flottage du
bois. Les occasions de bombance ne manquaient pas : d’abord les fêtes
carillonnées, Noël, Pâques,
La tradition veut qu’on envoie un morceau de filet au curé et à l’instituteur. Après c’est la grande ripaille avec les voisins. On ne mange que de la cochonnaille : boudin, grillades, foie, queue, oreilles grillées. La semaine suivante, c’est au tour du voisin qui a tué le cochon qui invite ; et ainsi de suite…Le début d’hiver se passe dans l’allégresse ; on emmagasine force calories qui permettront de supporter les premiers froids, et surtout maintiendront entre eux une saine convivialité.
Les repas de noces sont pantagruéliques ; d’où l’expression « faire la noce » est née. Noces de ville, noces de campagne, celles-ci ne le cèdent pas à celles là. A la ferme, on décore une grange avec des draps, fleurs, ou on fait venir un parquet de bal ; on mange pendant trois jours ; repas d’ailleurs trop chargés de viandes ; on ravage la basse cour ; on tue le veau ; et on rafle les aloyaux chez les bouchers du voisinage. On fait des pyramides de brioches et des centaines de ta rtes à la semoule et aux pruneaux. Quant aux vins, on n’en parle pas ! Mais on peut être certain qu’ils coulaient à flots et qu’ils étaient d’excellents crus. Je me souviens d’une noce où plusieurs feuillettes venant de Tannay, furent vidées. Que penser des menus : douze ou quinze plats, sans compter les entremets et les desserts.
Cela suppose que les convives avaient bon appétit. N’êtes- vous pas effrayés, végétariens et buveurs d’eau minérale, hépatiques et dyspeptiques … Il fallait à nos ancêtres, non seulement un bon estomac et bon foie, mais aussi une conscience en paix, une vie sans grands soucis, l’absence de toute envie et une âme « franciscaine ». Comme le grand-père de Jean Christophe de Romain Rolland, tout simplement, ils savaient rendre justice à tout ce que le Seigneur a créé d’excellent. Les méchants, les envieux n’auraient pu jouir avec plénitude, d’une telle abondance des dons de Dieu
« Dis moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. » Brillat Savarin. L’homme est ce qu’il mange.
La façon dont on se nourrit renseigne mieux que des considérations savantes sur la façon de vivre, et même la mentalité de l’époque. Ne disposant pas de ressources alimentaires aussi variées qu’aujourd’hui, n’ayant ni camions, automobiles, bateaux, chemins de fer, avions, poissons de mer, fruits exotiques, primeurs, ils n’avaient pas le froid et les méthodes qui permettent de conserver et d’en assurer la distribution toute l’année. Nos ancêtres étaient donc moins privilégiés ; leur alimentation était saisonnière ; leurs repas étaient-ils moins agréables ? Cela n’est pas certain. En souffraient-ils ? Sûrement pas.
« La soupe fait
l’homme ; la femme fait la soupe ».
Qu’on ne crie pas à la monotonie et à la pauvreté de cette soupe journalière. Ce vieux dicton doit être d’origine morvandelle ; car le Morvandiau plus que tout autre fils d’Adam, a été fait pour la soupe. De temps immémorial, la soupe a été la base de son alimentation ; elle l’est beaucoup moins aujourd’hui. La soupe au pain d’autrefois, épaisse parfois, au point que la cuillère pouvait tenir debout, était un plat robuste, substantiel, complet. Nos grands-mères sans s’en douter faisaient de la diététique scientifique. Leur soupe était une synthèse de légumes et d’assaisonnements variés. Un diététicien moderne ne pourrait qu’admirer cette soupe équilibrée en matières azotées, féculents, graisses minérales, et en même temps riche en calories et en vitamines.
Nos ancêtres ne mangeaient pas de viande. Voilà un cliché indiscuté et largement propagé ; il faut voir les choses de près. Distinguer la ville et la campagne ; le bourgeois, l’artisan et le commerçant ne se privaient pas de viande. D’après les dires des économistes, la viande était moins chère que le pain. A la fin du XVIII siècle, dans les livres de comptes d’un bourgeois de Moulin Engilbert, on lit que six livres de viande ont été payées 1 franc 10 centimes, soit
0 franc 18 la livre,
même pas 4 sous… Il faut dire qu’à cette époque, le manque de communications
rendait la vente du bétail difficile en dehors du pays. Jean Lyonnet donne les renseignements suivants pour Nevers,
petite ville dont la population n’excède guère 10000 habitants avant
A la campagne, le cultivateur produit tout ce qui est nécessaire à sa consommation. Il n’achète que peu de viande de boucherie, parce qu’il consomme celle qu’il produit sur sa ferme. Le vrai plat des familles riches ou pauvres était le pot au feu. Henri Bachelin le relate dans un de ses romans. Pour 800 familles dont se composait la population d’une ville considérée comme commune, y compris les paysans du village et des hameaux dispersés, il n’y en avait peut-être pas vingt, même les plus pauvres, où chaque dimanche, on ne mit le pot au feu pour le repas du soir. Sa préparation ne se faisait pas vaille que vaille. Nos grands-mères suivaient un rite presque religieux. Dans un grand pot de terre pansu , elles mettaient un morceau de plat de côte ou un jarret de bœuf avec l’os à moelle, cadeau du boucher ; et elles faisaient bouillir si lentement qu’il fallait, disaient elles, mettre ses lunettes pour le constater ; l’écume plusieurs fois enlevée, on mettait les légumes : poireaux, choux cœur de bœuf, choux rave, carottes, céleri rave, oignon, un peu de persil. Dans le pot, viande, légumes sommeillaient en ronflant légèrement et distillaient leurs sucs. Le produit après une longue ébullition, était une admirable synthèse culinaire, chef d’œuvre aussi parfait que simple. Le veau et le mouton appréciés en ville l’étaient beaucoup moins à la campagne.
Le porc en Morvan n’est pas un animal de boucherie. Quand un paysan dit qu’il mange peu de viande, il veut parler de la viande de boucherie ; mais il mange du porc tous les jours sous une forme ou une autre, frais ou salé. Comme dit Bachelin, d’un bout de l’année à l’autre, les paysans vivent, sauf votre respect, sur les cochons. Dans toutes les fermes, on en tue plusieurs Un ouvrier agricole en tue au moins un à l’automne ; on mange la viande fraîche et les abats, puis les andouillettes et les terrines et enfin le petit salé, le lard, et les jambons. Joseph Pasquet dit : « Je me suis fait un plaisir autrefois de montrer à un sous préfet éberlué à Uchon et à Champgazon, des plafonds disparaissant sous une panne de jambon. » aujourd’hui, cela représenterait une fortune.
Le jambon de chez nous est toujours délicieux. En ville, croyez le, on ne se prive pas de porc ; la charcuterie du Morvan, et de tout le Morvan, était renommée à juste titre. Un grand charcutier, Bonin, l’a même rendue célèbre dans le monde entier en enlevant des médailles dans les expositions internationales.
Dussert d’Arleuf
continue la tradition : il est « l’Olida du
Morvan ». Sa fabrication s’écoule à Paris comme en province. Albon, le chef célèbre des cuisines du Savoy
à Londres dit : « J’ai mangé du
saucisson à l’ail de Château Chinon : c’est un régal !
Nulle part ailleurs, j’en ai mangé d’aussi bon. »
Si le porc est l’aliment providentiel du Morvandiau, les animaux de basse cour lui apportaient de précieux compléments. L’oie, cet opulent oiseau, pullulait en Morvan dans les fermes autour de la maison des journaliers, et surtout dans les fossés des paisibles routes d’autrefois avant les autos. Ces oies provoquaient la colère de Dupin « les oies, fléaux des pies et des grains. Qui n’a pas ses oies en Morvan ? Il n’y a pas d’individu si dénué qu’il soit, qui n’ait pas sa bande d’oies socialistes. » Et il ajoute : « Un Morvandiau vous dira que pour bien se régaler, il faut n’être que quatre pour manger une oie de six à huit livres .C’est la portion congrue. »
On pouvait considérer l’oie comme un petit cochon facile à élever, donnant autant de graisse pour l’assaisonnement, l’oie se mangeant en civet, rôtie avec des marrons ou des choux raves. Le canard, moins abondant, disputait à l’oie les richesses des fossés des routes. Le canard rôti aux navets était un plat fameux. Les poulets ne rivalisaient pas avec les poulardes de Bresse ou les Chapons du Mans. Ils étaient plutôt des coureurs ; mais ils avaient un goût exquis. Je revois le dimanche un bon poulet de grain, doré à point devant la cheminée, spécialité de mon grand père Rélu. La tradition : la dinde de Noël. Plus qu’aujourd’hui, le lapin fournissait un précieux apport de viande. Le gibier était abondant ; les perdrix n’avaient pas été détruites par les insecticides et les lièvres par la myxomatose. Faisans et chevreuils étaient offerts par les propriétaires de chasse gardée, et surtout les braconniers. On mangeait plus souvent qu’aujourd’hui civets de lièvre et perdrix aux choux.
Le poisson d’eau douce constituait une ressource alimentaire
très importante. Les rivières et les canaux étaient très poissonneux. La carpe
et le brochet étaient de beaucoup les plus consommés ; suivant le dicton
des moines, « On préférait petits
brochets et grosses carpes »
La friture n’a jamais été un plat du Haut Morvan. Par contre, à Clamecy, tout pêcheur qualifié était fier de montrer son épuisette avec des gardons, des ablettes, des goujons. La truite, reine de nos rivières aux eaux claires, la truite commune au ventre constellé d’étoiles rouges, à la chair ferme et délicieuse, fournissait le plat royal : la truite saumonée. Nos ruisseaux à cette époque étaient encore pleins d’écrevisses dans le Sauzay avant Moulot. Il aurait été inconvenant qu’un buisson de ces sympathiques crustacés n’ornat pas la table de famille, les jours de fêtes.
Le poisson de mer, il y a plus de cent ans, arrivait, mais difficilement dans le Morvan. Par contre, la morue salée, la queue de morue étaient de grosse consommation. Le hareng salé triomphait dans notre région ; à chaque devanture d’épicier, en hiver, séchaient des « gendarmes » ; le hareng saur faisait le délice des Morvandiaux de l’est.
Les œufs constituaient une des grandes ressources, surtout pendant le Carême où, à cette époque, un œuf valait moins d’un sou. Evidemment on les mangeait de cent façons : en sauce blanche ; ils étaient très appréciés au vin. Cette recette dite à la meurette avait du être ramenée de Bourgogne par nos galvachers. Les œufs au jambon. L’omelette était la forme la plus fréquente d’utiliser les œufs à la ville comme à la campagne. Mais en Morvan, l’omelette la plus populaire, qui régale le gourmet le plus raffiné, et satisfait l’appétit du laboureur, c’est l’omelette au jambon. Dans une ferme, lorsqu’on vous offre l’omelette, vous pouvez m’en croire, vous êtes reçu en ami ; et je suis porté à dire qu’elle est le symbole de l’hospitalité morvandelle. Cette omelette a excité la verve de Claude Tillier. Son héros clamecycois, « Mon oncle Benjamin », demande : « Mettez sur le gril autant de jambon qu’il pourra en contenir, et faites nous une omelette de tous les œufs qui sont dans votre poulailler. Le déjeuner fut bientôt prêt et l’omelette presque aussitôt expédiée que servie. » Une poule met six mois pour faire une douzaine d’œufs ; une femme met un quart d’heure pour les convertir en omelette, et en cinq minutes trois hommes absorbent l’omelette.
La pomme de terre a droit, parmi les légumes, à une place spéciale, la première par sa qualité tout à fait supérieure dans les terres granitiques. Les autres légumes étaient aussi de qualité exceptionnelle en Morvan : les navets, le chou-rave, le chou à la base des fameuses potées, les haricots « grillaces » ( ?) étaient célèbres jusqu’à Auxerre. La châtaigne est un fruit, mais elle était utilisée surtout comme légume.
Beaucoup de choses se mangeaient en salade. Les cultivateurs récoltaient leurs graines de navette, les noix, et les portaient au moulin à huile de leur région. Ils en ramenaient une huile claire comme de l’or. Le vinaigre était le plus souvent fabriqué à la maison avec du vin et une « mère ». Il était moins acide et plus parfumé que celui du commerce. La salade qui dépassait en popularité était celle du pissenlit au lard au début du printemps dans les « taupas » ( ?). Quel régal et quel plat de santé.
Pour les fromages : quelques fromages de chèvre dans la région de Glux et de Villapourçon. Je ne parle pas des fromages blancs frais à la crème, ou séchés, « cendrés », qu’on trouvait facilement et partout.
Les pâtisseries : j’ai quelque hésitation à placer sous ce titre, le fameux « grapiau » morvandiau ; c’est bien une crêpe paysanne qui est plus un plat qu’un dessert : un plat consistant, pas un amuse gueule, mais plutôt un étouffe chrétien. C’était un aliment qui « tenait au corps » et qui ne faisait pas peur au bûcheron et au laboureur.
Le pâté en croûte lui aussi est plutôt un plat qu’une chatterie.
Les tourtes : ma femme réussissait des tourtes à la viande : j’en conserve un agréable souvenir. (Ses enfants, gendres et petits enfants aussi !)
Les tartes : il s’en faisait à tous les fruits : pommes, prunes, cerises ; les plus populaires étaient celles à la semoule de blé et aux pruneaux.
La galette aux griaudes (ou grillaudes) : les grillaudes sont les résidus sur la grille de la fonte du lard. Pour une livre de pâte à pain, mettre une demi livre de griaudes, fromage de chèvre coupé en petits morceaux, quelques graines d’anis, trois ou quatre œufs ; mélanger le tout et faire lever. Mettre sur une tôle et faire cuire au four. Abel Albon écrivait qu’il servait à sa clientèle sélecte et internationale du Savoy de Londres, cette douceur morvandelle, très appréciée.
Il y avait très peu de vergers bien plantés et bien soignés. Le petit nombre se trouvait près des châteaux et des presbytères. Par contre, nos cultivateurs plantaient des arbres fruitiers dans les haies (ou traces) ; les fruits de seconde qualité étaient surtout utilisés à faire de la goutte.
Les haies, les landes, la forêt fournissaient cèpes, girolles ; les pâtures, les merveilleux et parfumés champignons de rosée.
Dans toutes les maisons, cachés dans les vastes placards dormaient de nombreux pots de confiture. Avec quoi nos grands-mères faisaient –elles des confitures ? Avec des groseilles, groseilles à maquereaux, cerises, coings, prunes, poires, mûres.
Ces mêmes fruits étaient conservés à l’eau de vie dans des grands bocaux ; un mélange groseilles, cassis et prunes s’appelait « conserve des Quatre Officiers », un délice ! Nos grands-mères adoraient préparer des ratafias avec toutes sortes de fruits, et même des baies de genièvre ; liqueurs de cassis, coings ; ratafias de cerises. Les « vieilles de chez-nous » en sirotant ces choses caquetaient avec plus de plaisir. On attribuait autrefois à certains de ces ratafias un pouvoir presque magique, en tout cas tonique.
Aujourd’hui, les professeurs de la faculté de médecine, comme le docteur Binet, conviennent que le cassis et le genièvre aident à rester jeunes. Nos gens ne crachaient pas sur la goutte, surtout qu’elle était excellente ; et certaine, trop rare, pouvait rivaliser avec les meilleurs kirschs ou quetsches d’Alsace.
Somme toute, la terre morvandelle, qu’on dit pauvre, fournissait à nos ancêtres, non seulement de quoi ne pas mourir de faim, mais encore de quoi satisfaire les goûts les plus raffinés et les appétits les plus exigeants.
En bon provençal, Léon Daudet a exprimé l’aphorisme : « Entre la bouillabaisse, la bourride, l’aïoli et le « catigot » ( ?), un honnête gourmand peut passer une existence agréable … »
Ne croyez vous pas qu’il en est de même pour un fils du Morvan : entre une omelette au jambon, une oie aux marrons, un poulet à la crème, une potée bien garnie et une tourte aux poires.
(Texte écrit dans les années 1970 par mon père Jean Rélu,
très attaché aux traditions de son Morvan natal).