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Deux « drôles de paroissiens »

 

 

Deux « drôles de paroissiens », Apôtres de l’Etre Suprême, en l’honneur duquel ils instaurèrent la Terreur à Clamecy.

 

Le premier fait partie d’une vieille famille clamecycoise, les Tenaille, si nombreux, (près de 3000) dans cette ville au 18ème siècle, qu’ils avaient tous ajouté à leur nom, celui d’une propriété , d’une terre, d’un lieu dit : Saligny, Vaulabelle, Etais, Lesnaux, Champton, Laure, etc. En plus du commerce du bois, ils étaient à chaque génération, gardes de corps du Roi, magistrats, procureurs du Roi, avocats au Parlement, présidents du Grenier à Sel, et pour certains, révolutionnaires.

 

Bernard Tenaille de Laure

 

Naît à Dornecy le 27 octobre 1764. Son père, Edme Basile est fortuné. Il a acheté comme biens nationaux, toutes les terres appartenant aux abbés de Vézelay situées sur le territoire de Dornecy. Il adhère aux idées nouvelles de 1789, d’autant plus qu’elles lui permettent d’augmenter sa fortune. Mais il sera modéré et ne participera pas aux excès de son fils, dont il a d’ailleurs peur !

 

Bernard commence ses études au Collège de Clamecy ; puis son père le fait admettre au collège de Brienne. Sur le point d’être nommé officier en 1781, un décret du Ministère de la Guerre est promulgué, précisant que pour être officier, il faut prouver quatre quartiers de noblesse. Bernard voit ainsi sa future carrière anéantie. Il en gardera beaucoup d’amertume.

 

Il part à Nantes pour s’initier au commerce de draps. Il y fréquente des hommes aux « idées avancées », et se lie en particulier avec Fouché. Après son mariage avec une jeune fille de la bonne société nantaise, Hyacinthe de Broc, il revient à Clamecy où il installe un commerce de draps. Cruelle déception de vivre au fond d’une boutique, alors que l’on a rêvé de gloire militaire, et d’être témoin de la réussite d’autres Tenaille, gardes du Roi ou entrepreneurs de flottage. Sans parler de l’influence néfaste de sa femme, orgueilleuse, envieuse, vindicative et détestée de la population clamecycoise, qui l’a surnommée Tisiphone, du nom de l’une des trois Furies latines.

 

A l’aube de « l’Année terrible » de 1793, Bernard Tenaille Delaure est élu à la présidence du Directoire du District de Clamecy. Là, son goût du pouvoir se révèle rapidement, aidé en cela par le curé de Rix, l’abbé Parent, élu à la présidence de l’Administration du District.

 

 

Etienne Jean François Parent

 

Naît le 18septembre 1754 dans une vieille famille clamecycoise s’étant illustrée dans la magistrature. Après des études secondaires au collège de Clamecy, Etienne va étudier à la Sorbonne, d’où il sort « Maître es Arts en l’Université de Paris ». Sous l’influence d’un professeur ecclésiastique, il se dirige vers la prêtrise. Curieux abbé qui préfère les ouvrages de Voltaire à son bréviaire ! Après quelques années de vicariat en l’église de Corvol l’orgueilleux, il est nommé curé de Rix, une vraie sinécure qui lui laisse le temps d’écrire des textes en prose ou en vers inspirés des grands philosophes des « Lumières ».

 

En 1784, il est nommé principal du Collège de Clamecy. Puis il s’engage dans la voie révolutionnaire en prêtant serment en janvier 1791 à la constitution civile du clergé, lors d’une messe dominicale à Rix devant une assemblée de ses paroissiens, des gardes nationaux en armes et des élus municipaux chargés de dresser le procès verbal.

 

L’abbé Parent, devenu citoyen Parent, est élu le 19 septembre 1792 au poste de président de l’Administration du District de Clamecy. Il devient l’un des hommes les plus influents de la cité avec le président du Directoire de ce même district, Bernard Tenaille Delaure.

 

En juillet 1793, les révolutionnaires les plus engagés, que la population clamecycoise a surnommé « les Enragés », rejettent le prénom de leur baptême pour adopter des noms grecs ou romains. Parent devient Bas, en l’honneur de l’un des sept Sages de la Grèce. Tenaille sera Diogène, hommage à l’illustre philosophe de « l’Ecole Cynique ». Tout un programme !

Alexandre Sonnié Moret relève tout le ridicule de cette « débaptisation », qui durera jusqu’à la révolution thermidorienne.

 

Ces Grecs et ses Romains de récente fabrique,

Scévola, Diogène, et Bias et Brutus

Indomptables soutiens de la chose publique,

Prétendent qu’ils vont, par leurs rares vertus,

Nous débarrasser de tous les vieux abus.

Jusqu’ici nous n’avons, malgré leur rhétorique

Vu disparaître, hélas ! que nos écus.

Pour défrayer leur bande famélique

Puissent-ils être au diable eux et toute leur clique.

 

Le 15 août 1793, Fouché visite Clamecy en tant que représentant du Peuple. Parent déploie tous ses talents d’orateur, et Fouché, subjugué, s’empresse de satisfaire sa demande de devenir Chef d’une religion nouvelle ayant un caractère universel. Dans un arrêté du 25 septembre 1793, le même Fouché décide que tout prêtre constitutionnel doit dans un délai d’un mois, se marier, adopter un enfant ou prendre en charge un vieillard indigent…Bias n’hésite pas ; d’autant que le représentant du peuple promet une dot de 4000 livres à tout prêtre acceptant de se marier !

 

Le 14 octobre 1793, à 39 ans, il épouse une jeune fille de 18 ans, Marie- Madeleine Jouanin, fille d’un cabaretier de Dornecy. A l’église de Rix où le cortège s’est rassemblé, Bias monte en chaire et fait l’apologie du mariage païen de l’Antiquité.

 

Le chantre curé Limanton démissionne à cette époque. Et Fouché prend l’initiative de nommer son « cher » Bias à la cure de Clamecy comme « Apôtre de la Liberté ».

Le 23 octobre 1793, Parent prend possession de la ci devant Collègiale Saint Martin et s’installe avec sa jeune femme, Tullie, dans la ci devant cure. On note dans son discours d’intronisation, un passage pour le moins surprenant : « Je professe le plus grand respect pour les opinions et une grande sollicitude pour procurer les services du ministère catholique à ceux qui y attachent leur repos de leur conscience et leur bonheur. »

Ces paroles au combien conciliantes ne sont guère en rapport avec son ardeur à combattre le culte catholique, et à envoyer ses paroissiens à l’échafaud.

En janvier 1794, la collégiale Saint Martin est dédiée au « culte de la Raison »

Bias Parent devient avec Diogène Tenaille, un des membres influents, très redoutable et redouté dans l’instauration de La Terreur à Clamecy.

 

La loi dite « des suspects » votée par la Convention le 17 septembre 1793 est un encouragement à la délation. Toute personne dénoncée comme suspecte par six citoyens domiciliés dans le département est aussitôt arrêtée et emprisonnée. Le terme « suspect » est si vague que l’on peut sans peine l’attribuer à tout le monde. Nos deux compères Diogène et Bias ne vont pas s’en priver !

 

Dès janvier 1794 », le Conseil de la Commune décide que la prison de la ville, située dans le château des ducs de Nevers, (à l’emplacement de la mairie actuelle), est trop petite pour loger tous les suspects. Mais à la sortie de la ville, à Pressures, un petit château entouré de douves alimentées par le Sauzay, ferait une prison idéale. Quinze détenus y séjourneront avant d’être envoyés à Paris où ils doivent être jugés ; parmi eux , deux Tenaille,  parents de Diogène et la marquise de Chabanne qu’il a personnellement dénoncée.

 

Non contents d’avoir voué ces malheureux à la mort, les « chefs terroristes » de Clamecy dont Diogène et Bias, s’offrent le plaisir d’aller à Paris, de suivre le procès et d’assister à leur exécution le 15 mars 1794

 

Un autre convoi de seize autres détenus est dirigé sur Paris en avril 1794 pour comparaître, « pour la forme », devant le Tribunal Révolutionnaire. Leurs sorts auraient été sans doute identiques à ceux du premier groupe, si la chute de Robespierre ne leur avait conservé la vie.

 

Le 8 juin 1794, a lieu au Champs de Mars à Paris une fête de la « Montagne » sous la présidence de Robespierre. Pour ne pas être en reste, ce même jour, à Clamecy, les autorités organisent une cérémonie en l’honneur de l’Etre Suprême. Une  montagne artificielle est élevée à l’entrée des bois du Marché. Aux aurores, la population est convoquée sur la place du

Marché pour voir brûler sur un bûcher, trois mannequins représentant le Roi, la Noblesse et le Clergé. La mise à feu est faite par Diogène Tenaille.

 

Puis le cortège se dirige vers « la Montagne ». Diogène, une branche de chêne à la main, fait un long discours, tandis que l’encens brûle sur un autel. On redescend à la ci devant église devenue Temple de l’Etre Suprême, où l’on chante l’hymne « Mourir pour la Patrie, c’est le sort le plus beau, etc. »

 

La loi du 22 prairial an II ( 1à juin 1794) supprime l’interrogatoire de l’accusé avant l’audience du Tribunal, lui refuse l’aide d’un défenseur et limite la sentence à l’acquittement ou à la mort ; elle ouvre la porte à tous les abus.

 

Les « Enragés clamecycois » désignent comme boucs émissaires, certains des leurs  pour lesquels la population ressent le plus de haine, espérant retrouver ainsi un regain de popularité.

 

Le 2 juillet 1794, Diogène Tenaille accuse Liborel, le « héros des Sans Culottes ». Bias Parent renchérit en accusant le dit Liborel d’avoir compromis « la réputation et la candeur des patriotes ». Liborel veut se défendre ; Diogène lui coupe la parole et le menace d’arrestation. En fait il sera incarcéré dès le lendemain à Pressures.

 

A la Convention Nationale, le 9 Thermidor (27 juillet 1794), une séance frise l’émeute. : cinq heures de menaces, d’injures, de hurlements, qui se terminent par l’arrestation de Robespierre, qui n’a pas pu prononcer une parole.

 

A Clamecy, Parent essaye de se maintenir ; mais la population se déchaîne contre lui. Il est le premiers des « Enragés » arrêtés et conduit à Pressures le 19 novembre 1794, accompagné d’une foule en délire. Le 27 octobre, Diogène essaye de fuir Clamecy. Mais il est arrêté à Neuvy sur Loire et ramené à Clamecy où il manque d’être écharpé, puis transféré à Pressures.

 

Les deux compères comparaissent avec seize autres « Enragés » devant un jury. Les interrogatoires durent six semaines. Tous sont accusés d’abus de pouvoir, dilapidation et mesures ultra-révolutionnaires, donc hautement coupables et ressortissants du jugement du Tribunal  Révolutionnaire de Paris.

 

Le 21 mars 1795, le Comité de Sûreté Générale demande le transfert des dix huit « terroristes » de Clamecy. Quelques jours plus tard, ils sont entassés dans trois charrettes  

et enchaînés deux par deux. Parent est de compagnon de chaîne de Tenaille Delaure. Au départ de la ville, la foule très exaltée se déchaîne sur les prisonniers, les insulte et les asperge de boue. Après une nuit passée à Courson, ils arrivent à Auxerre, ou une   autre foule aussi excitée les attend, leur lance des pierres et veut les jeter à l’eau « pour les faire descendre à Paris à bûches perdues ».

 

Dès leur arrivée dans la capitale, ils sont incarcérés à la Maison d’Arrêt du Plessis afin que leur cas soit examiné. Mais le Tribunal Révolutionnaire n’existe plus et la guillotine est « au chômage »

 

Le 27 avril 1795, le Comité de Sûreté Générale renvoie les accusés devant le tribunal criminel de Nevers pour y être jugés. Leur second procès dans cette ville durera plus de 5 mois. Fin octobre 1795, ils sont mis en liberté provisoire, puis libérés définitivement, suite à la dissolution de la Convention Nationale et d’une amnistie générale le 25 août 1795.

 

Les dix huit inculpés ne se hâtent pas à regagner Clamecy, de peur que la population ait « une mauvaise réaction »…Le représentant du peuple Bezout juge prudent de lancer l’appel suivant aux citoyens de la Nièvre :

 

« Citoyens, plusieurs de vos semblables qu’un amour ardent de la Patrie, qu’un zèle inconsidéré, mais très excusable par l’intention, ont pu diriger pendant la révolution, redoutent vos ressentiments et sont obligés de céder à la crainte de les éprouver en rentrant dans leurs foyers ; mais il est digne de vous et du bon esprit qui vous anime de les détromper en les serrant les premiers dans vos bras, etc. »

 

De plus, plusieurs d’entre eux, dont Tenaille ex Diogène, et Parent ex Bias, sont installés officiellement à l’Administration Départementale. Parent devenu « Parent l’Aîné » obtient un poste de professeur d’Histoire à l’Ecole Centrale de la Nièvre !!!

 

Un an plus tard, le Directoire exécutif du département de la Nièvre les destitue. C’est à ce moment que leurs chemins se séparent.

 

« Parent l’Aîné »ne peut supporter son anonymat. Il fonde à Nevers un journal à tendances subversives, (attaques virulentes et dénonciatrices envers ceux qui apprécient de voir la fin du règne de la Terreur). Il crée également un club, qui aura comme le journal, une durée éphémère. Sous surveillance policière, Parent quitte Nevers pour se réfugier chez sa belle mère à Dornecy, où il va exercer quelques temps les fonctions d’instituteur. Toujours en quête d’un emploi lucratif et d’une situation de prestige, il fait appel à son « ami » Fouché devenu « Ministre de la Police de Napoléon 1er », qui le prend dans ses services. Mais son caractère instable et avide d’honneurs le rend insupportable à son entourage, et même à Fouché.

 

Le 13 septembre 1802, il arrive en congés à Dornecy, où il meurt brutalement le 16, dans sa quarante septième année. Un ombre plane sur cette fin rapide : « Fouché l’aurait-il fait empoisonner ? Le commandant Surugue, dans son « Histoire de l’évêché de Bethléem » écrit :

« Le futur duc d’Otrente était d’ailleurs très capable de faire cette petite méchanceté ».

 

Bernard Tenaille Delaure, de retour à Clamecy, devient commissaire près de l’administration municipale. Mais il est révoqué en février 1797 pour les motifs suivants : « Ne réside jamais auprès de son administration, néglige son service, peu de zèle et d’exactitude dans ses fonctions ».

 

Hyacinthe de Broc, son épouse, demande le divorce qui est prononcé en août 1797. L’année suivante, elle entame une procédure judiciaire pour récupérer sa dot…

 

Fouché reste fidèle à ses « vieux amis ». Devenu Ministre de la Police, il y  fait entrer Tenaille Delaure. Mais ce dernier meurt à Paris le 28 juillet 1800, dans sa trente sixième année, abandonné de ses enfants.

 

Les papiers saisis après sa mort sont déposés aux Archives Nationales. Parent l’Aîné, alors chef de bureau au Ministère de la Police, a toutes les possibilités de les récupérer et de faire disparaître ceux qui pourraient le compromettre.

 

Ce texte doit beaucoup au livre de Gérard Tenaille, « Les Atrides en Morvan », une famille à Clamecy pendant la Révolution.

                           


© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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