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L’émeute des boisseaux

 

 

Quel tintouin pour les ménagères du 18ème siècle d’acheter leur sel au muid, setier ou  minot, leur vin à la chopine, la canuse ou la roquille… Et les pesées en livre, en once, en scrupule. Plus de huit cents mesures sont pratiquées sur le sol français, souvent liées aux provinces. Et cette diversité entrave à la circulation des marchandises et enrichit les profiteurs.

 

La Convention Nationale (21 septembre 1792 – 26 octobre 1795) dans le cadre de la « République une et indivisible » entreprend « d’affranchir les hommes de la différence des poids et mesures entravant toutes les transactions sociales. »

 

Ces justes réformes seront très longues et souvent difficiles à appliquer. C’est le cas de Clamecy et de sa fameuse « révolte des Boisseaux ».

 

Au printemps 1837, l’adoption des nouvelles mesures décimales de capacité doit être appliquée ; et les autorités municipales redoutent une coalition des marchands de grains et de la population des faubourgs pour continuer l’usage des anciennes mesures. A cet effet, le sous préfet Petit de la Fosse se rend en personne sur le marché clamecycois, le 5 avril 1837 vers les 10 heures du matin, où se trouvent déjà réunis fonctionnaires publics et gendarmes.

 

Au même moment arrivent un grand de flotteurs et leurs femmes en ordre de marche, c'est-à-dire deux par deux. Ignorant les paroles du sous préfet, ils entourent les étales des « blâtiers » (marchands de blé) à qui l’on venait de distribuer les nouvelles mesures. Un flotteur s’empare d’un double décalitre et le jette à terre. Le sous préfet le ramasse, mais l’homme  lui arrache des mains et le piétine. C’est le signal de la révolte : les mesures décimales volent en éclats ; bousculade générale et cris séditieux. La foule menaçante exige la clé des réserves où sont entreposées les nouvelles mesures. Un hallier s’interpose, refusant de remettre la dite clé : il est blessé au visage. Les portes étant enfoncées, une cohue délirante s’engouffre dans la ressert et brise tout.

 

Les anciens boisseaux avaient été déposés à la mairie ; les émeutiers ne l’ignorent pas et se lancent à l’assaut du bâtiment où sous préfet, autorités et gendarmes se sont réfugiés. Les portes cèdent à une violente poussée : les anciennes mesures sont récupérées et redistribuées aux marchands de blé, qui les utiliseront pour leurs livraisons toute la journée.

 

Le préfet de la Nièvre, Badouix, désirant assister au marché du lendemain, samedi 8 avril, arrive sur ces entre faits et parcourt les rues en exhortant les flotteurs à plus de calme.

 

Le matin du 8, après avoir fait publier un décret sur les « Attroupements », le Préfet escorté d’une cinquantaine de gendarmes, se rend à 9 heures et demi sur la Place du marché. La Garde Nationale convoquée ne répond pas à l’appel et plusieurs de ses membres rejoignent les rangs des émeutiers. Vers 10 heures arrive une foule hostile composées de femmes et de flotteurs armés de serpes, bien décidée à renouveler le succès de la veille. Au moment où tinte la cloche annonçant l’ouverture du marché, les manifestants au chant de la Marseille envahissent le magasin et s’emparent des doubles décalitres restants et les mettent en pièces. La foule célèbre bruyamment sa victoire en dansant sur les débris et en parcourant la ville en chantant, précédée des tambours. Ils agitent des drapeaux et des branches de lauriers ; et presque tous portent des cravates et des cocardes rouges.

 

Le Préfet alors appel au Ministre de l’Intérieur, qui envoie à Clamecy, le 12 avril, 4 escadrons du 1er Lanciers de Moulins et un détachement de 300 artilleurs de Bourges

 

Ce déploiement de forces met fin à l’émeute ; une enquête judiciaire est immédiatement ouverte. Sur 80 hommes et femmes interpellés, 29 sont envoyés devant la Chambre des mises en accusation, et deux devant le Tribunal correctionnel.

 

Cette affaire restera dans l’histoire locale et dans la mémoire de ses habitants sous le nom de « Emeute des Boisseaux ».


© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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