Le 16 juin 1940 à
Clamecy
Souvenirs d’enfance
par Annie Delaitre-Rélu
Depuis plusieurs jours, Clamecy était en effervescence. Naturellement les écoles ne fonctionnaient plus. Certains camarades du collège avaient quitté la ville. Je passais mes journées avec ma mère dans la maison de mes grands parents, route d’Auxerre.
L’exode battait son plein. Mes grands parents faisaient de leur mieux pour répondre aux sollicitations des réfugiés et des soldats de l’armée en déroute. Chaque nuit, ils hébergeaient quelques malheureux fuyant l’avance allemande dans les dépendances de la maison , où ils avaient aménagé des couchages de fortune.
Par la fenêtre ouverte du rez-de-chaussée, je versais des verres d’eau aux assoiffés ; c’était d’ailleurs pour moi qui ne comprenais pas le drame qui se jouait, une distraction inédite.
La ville se dépeuplait. Mes grands parents avaient décidé de ne pas bouger quoi qu’il arrive. Ma mère était indécise. C’est alors que le vendredi 14 juin, une ambulance s’arrête devant notre maison de l’Abreuvoir, qui véhiculait mon père blessé par un éclat d’obus lors de la bataille de Sedan, et était évacué vers le sud. Il n’est pas en mesure de nous préciser les positions de l’armée allemande ; mais il demande expressément à ma mère de quitter Clamecy. Puis il remonte dans l’ambulance qui l’emmène vers une direction inconnue…
Un conseil de famille se réunit chez mes parents paternels. Mon grand oncle et ma grande tante sont propriétaires et exploitants d’un grand jardin maraîcher sur le boulevard Misset. Mon oncle est hésitant, mais ma tante insiste pour partir et rejoindre son fils à Tulle où il est pensionnaire dans une école d’Enfants de Troupe.
Enfin le départ est fixé au dimanche 16 à 4 heures du matin, mon oncle tenant absolument à vendre ses légumes préparés pour le marché du samedi sous les halles
Je garde le souvenir de notre marche forcée entre la rue de l’Abreuvoir et le boulevard Misset, lieu du rendez-vous, ma mère portant une valise et moi serrant sur mon cœur mon baigneur Jean-Paul, qui était loin d’être mon jouet préféré, mais qui, aux yeux de maman, avait le plus de valeur marchande…
La camionnette de livraison de mon oncle nous attendait. Sur le toit bâché avait été fixé tant bien que mal un matelas, protection bien illusoire contre les mitraillages éventuels…Deux grands bancs en bois avaient été arrimés aux rambardes du véhicule où prirent place ma grand’mère maternelle, sa sœur la « tante Mathilde », ma mère, ma cousine Marie-Thérèse âgée de douze ans et moi-même. Cette situation toute nouvelle et « originale » était loin de me déplaire. Je vivais enfin « une aventure ».
Le véhicule démarre en direction de Beaugy pour emprunter la « vieille route de Varzy ». Ma mère racontera plus tard qu’elle avait entendu des balles siffler autour de nous lorsque nous avions suivi le boulevard Misset. Ce qui est très vraisemblable si les rumeurs, qui circulèrent a posteriori, affirmaient que les avant-gardes allemandes étaient déjà présentes sur les hauteurs de Clamecy, et en particulier dans les coûtas dominant la rue de l’Abreuvoir.
Le départ s’était effectué sur un boulevard pratiquement désert, mais nous allions bientôt nous retrouver au milieu de ces colonnes hétéroclites : voitures diverses, vélos, charrettes, brouettes et piétons qui souvent sollicitaient de s’asseoir à l’arrière de la camionnette pour reposer leurs pied endoloris.
Et puis il y avait les mitraillages à basse altitude de l’aviation italienne, qui nous faisaient nous réfugier dans les haies et les bosquets bordant les routes. Bref tous ces épisodes longuement évoqués et décrits dans les livres et les films plus tard.
Je me souviens du passage de
Je me souviens également de notre arrivée à Moulin sur Allier et de notre hébergement dans la grange d’une tuilerie dont le toit était « décoré » d’une grande croix blanche qui devait faire passer l’ensemble pour un hôpital ! Et les nuits passées parmi les bottes de foin…Les « pique nique » en plein air ; et aussi l’allocution de Pétain annonçant l’Armistice
Nous avions été rejoints par les Allemands. Que faire ? Continuer à fuir et à essayer de rejoindre Tulle, comme le souhaitait encore ma grande tante. Les autres membres de la famille étaient plus réservés. Ma mère souhaitait retourner à Clamecy, car très préoccupée par le sort de ses parents restés dans la cité. Mon grand oncle était inquiet d’avoir laissé ses cultures maraîchères aux soins d’un vieux commis. Mais était-ce possible de rebrousser chemin, alors que les colonnes allemandes continuaient leur marche ?
En fin de compte, mon oncle décide à se présenter à
En effet le retour se fit à « petite vitesse ». Les convois allemands étaient les rois de la route et la camionnette familiale se faisait toute petite sur les bas côtés ou dans les fossés.
Notre arrivée à Clamecy et à notre domicile coïncida opportunément au recensement des habitats abandonnés en vue de réquisition pour l’hébergement des occupants !
L’épopée de mon père en ambulance se termine à Châteauroux, d’où il est replié en train sanitaire jusqu’à Agen. Courant juillet, mon père rencontre à la gare de cette ville où il venait pour avoir des nouvelles du pays, un pâtissier clamecycois et ses filles venus jusque là en traction avant. Ces derniers lui annoncent que Clamecy est « à feu et à sang ». Fort heureusement une lettre de maman passée miraculeusement à travers la ligne de démarcation le rassure sur notre sort. Il rentrera fin septembre ; son trajet de retour effectué sur un « vieux clou rouillé » (vélo) donation d’une Agenaise.
Quant à Michel, mon cousin enfant de troupe : son Ecole
avait été rapidement évacuée de Tulle ; et après bien des péripéties, il
se retrouve à Cherchell en Algérie…jusqu’en 1943, où il revient en France et
rentre dans la Résistance.