Le Grand Flot :
jetage et écoulage
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e « Grand Flot » était l’opération ayant pur but d’amener les bûches du « petit flot » augmentées des bois acheminés en charrettes aux portes de départ, et des autres flots provenant des 12 affluents de l’Yonne, jusqu’aux 3- ports de tirage répartis sur 1_ km entre Chevroches et Lucy/Yonne.
Le « grand flot » souvent décrit dans le bulletin de la Rouette Couplière, bulletin de liaison de la Confrérie de Saint Nicolas de Clamecy, comprenait les manoeuvres suivantes :
- le jetage des bûches sur les ports de départ,
-
l’écoulage,
-
le tirage,
-
le triage ou tricage,
-
l’empilage,
-
le repêchage des bois restés coulés au
fond du lit, et appelés « bois canards ».
Le jetage se faisait avec mesure, suivant l’état des eaux pour éviter les « embâcles ». Le jetage, comme l’écoulage, était fait par le personnel de la compagnie intéressée aux flots de la Haute-Yonne, association des marchands de bois, dont l’Agent Général résidait à Clamecy. Les membres de ce personnel dénommés « poules d’iau » ou « meneux d’iau » étaient surveillés eux même par l’Administration des Eaux et Forêts.
Pour décrire ces deux opérations, voyons le tableau
saisissant qu’en fait le docteur Bogros, Morvandiau
de souche, dans son ouvrage A travers le Morvan : « Le jour arrivé (celui du flot) les
vallées, hier silencieuses, sont partout en rumeur ; les échos se
renvoient mille bruits confus où se mêlent le fracas de l’Yonne roulant à
pleins bords ses eaux troublées, les jurons des charretiers, les cris des
femmes et des enfants qui aident à l’embarquement des bois, les échos sourds des
bûches qui commencent leur pérégrination.
Suivons un instant du
regard ces pauvres voyageuses qui ne reverront plus la forêt natale. La rivière
est noire ; l’eau disparaît sous cette masse mouvante qui, là où le
courant se ralentit, chemine paisiblement et forme une sorte de plancher mobile
sur le quel il semble que l’on pourrait, d’un pied leste, passer d’une rive à
l’autre. Dans les rapides, c’est une avalanche qui se
précipite avec un bruit assourdissant, bondit de rocher en rocher, se heurte et
se meurtrit dans une mêlée furieuse. Quelques bûches, comme essoufflées de
cette course folle, s’approchent de la rive ou d’une roche à fleur d’eau et
semblent vouloir reprendre haleine ; mais le croc de la « poule d’iau » fait bonne garde, et les paresseuses, harponnées
sans pitié reprennent bien vite a travers la vallée, leur voyage sans trêve.
« Mais que l’une
d’elles se mette en travers du courant, s’arc-boute obstinément à deux pointes
de rocher et résiste à l’effort des eaux, aussitôt tout s’arrête ; les
bûches s’accumulent, s’entassant avec une prodigieuse rapidité ;
l’obstacle toujours grandissant,forme bientôt un énorme barrage, qui s’élève
parfois à la hauteur d’un second étage, sur une étendue de plusieurs centaines
de mètres, et contre lequel la rivière furieuse se brise, impuissante :
c’est une « prise » ou embâcle. Le jetage des bois est
interrompu ; des cris d’appel retentissent de toutes parts, les « flotteurs
accourent : il faut « déprendre ».
« L’opération
n’est pas sans périls… Grimpés sur une roche glissante ou sur les bûches
amoncelées, armés de leur croc en fa pointu, meneurs
et poules d’iau s’efforcent de rompre ce barrage
improvisé ; mais que le pied de l’un d’eux glisse sur le granit poli ou
que l’échafaudage chancelant qui le porte manque tout d’un coup, et le pauvre
diable peut périr au milieu de ce catafalque de bûches meurtrières.
« L’Yonne se
souvient peut-être de temps en temps, qu’aux âges druidiques, elle fut
consacrée à la déesse Icauna…et comme jadis, elle
s’offre une victime ! »
L’écoulage du « grand flot » s’opérait d’autant plus facilement que l’on s’éloignait de la région morvandelle, la pente du cours diminuant. C’était avec un calme presque complet que ce flot atteignait les ports de tirage à Clamecy. Son arrivée dans la cité était un événement, car elle marquait pour les ouvriers des ports, la reprise de travaux qui avaient été arrêtés au début de l’hiver.