Retour à l'accueil


 

L’horloge de la tour

De la collégiale Saint-Martin

 

(d’après des recherches faites par Messieurs Forestier et Rélu)

 

« Les choses ont une âme, et nous parlent aussi ».

 

Nous avons tous senti la profonde vérité de ce vers lorsque, pendant plusieurs mois, la vieille horloge de la Tour n’a plus rythmé nos occupations quotidiennes. En entendant plus sonner les quarts, les demies, les trois quarts et les heures, il nous a semblé qu’il manquait quelque chose à l’organisation de la cité. Puis la sonnerie aimée a de nouveau retenti ; la cadence rythmée des heures s’est fait entendre et nous avons éprouvé une réelle satisfaction de ce retour attendu à la vie normale.

 

Il  nous a semblé que ce quelque chose qui nous manquait, que cette vieille horloge dont on déplorait le silence et l’absence, méritait mieux qu’un simple regret, fut-il momentané, et qu’il était utile d’en donner l’origine et d’en faire l’histoire. D’autant plus que cette horloge est une œuvre clamecycoise, qu’elle a été faite par un artisan de la ville et qu’elle est plus que séculaire.

 

Mais les recherches n’ont pas été faciles ; et les chroniqueurs locaux qui ont parlé avec détails de l’Eglise, de la Tour et des cloches n’ont rien dit de l’Horloge. Dans ses « Ephémérides » , Sonnié Moret dit ceci à propos des horloges de la Ville :

 

« 1786-18 janvier –Délibération du Bureau de la ville pour le remplacement de la vieille horloge restant dans la Tour de l’Eglise, et la suppression de son cadran à l’extérieur. »

 

«1786-14juin  - Les officiers municipaux revenant sur le même sujet reçoivent en assemblée générale des habitants, l’autorisation de traiter au prix de trois mille francs de l’acquisition d’une nouvelle horloge ; mais ce n’était pas là le dernier mot, ni de l’achat, ni du prix. »

 

Edme Courot, grand-père de Romain Rolland, dans les « Annales de Clamecy » dit à peu près de même.

 

En réalité, cette question de remplacement d’horloge est antérieure à 1786. En effet, il y a le 10 juillet 1785, une délibération importante sur ce sujet , et nous la transcrivons parce qu’elle marque vraiment le point de départ d’une discussion qui va durer plusieurs années, les délibérations précédentes n’étant en somme consacrées qu’à des pourparlers

 

« Ce jourd’hui, dimanche dix juillet mil sept cent quatre vingt cinq, quatre heures de relevée en la salle de l’hôtel de ville, le Bureau assemblé extraordinairement, est comparu le sieur Caffard Delong, adjudicataire des réparations de la ville et canton dud Clamecy, lequel a dit que pour satisfaire à l’article deux du devis qui porte qu’il sera fait achat d’une horloge du prix de deux mille deux cents livres en la présence et du consentement des officiers municipaux, et offre présentement la somme de deux mille deux cent livres pour le prix de la dite horloge pour obvier à tous inconvénients et à toutes difficultés  à la charge de Messieurs les officiers municipaux de  faire poser la dite horloge et le cadran de la manière qu’ils doivent l’être entendant le dit sieur Delong, que les frais de la pose doivent être compris dans le prix de deux mille deux cents livres, et soutenant en outre que la vieille horloge doit lui appartenir comme démolition suivant l’article 54 du dit devis. Le Bureau au contraire prétend que n’y ayant pas lieu à démolition, l’ancienne horloge doit lui appartenir, soit qu’il accepte la somme de 2 200 livres, soit qu’il oblige l’adjudicataire a en fournir une de ce prix : 1° parce qu’on ne peut pas dire que la vieille horloge soit une démolition ; 2° parce qu’il est naturel que le prix de cet ancien horloge serve à faire transporter et poser la nouvelle ; d’autant mieux que l’article 2 porte en termes formels qu’il sera fourni une horloge de 2 200 livres. Et attendu que les parties sont divisées sur cet objet, elles sont convenues de s’en rapporter à l’avis de Monsieur le Grand Maître auquel il sera envoyé des mémoires respectifs dans la huitaine pour avoir sa réponse le plutôt que faire se pourra attendu le besoin de la communauté. »

                A ledit sieur Delong, signé et s’est retiré.

 

Dans la délibération du 11 janvier 1786, on vote l’addition d’un cadran du côté du Marché ; puis constatant que la flèche qui traversera la Tour pour faire mouvoir l’aiguille du cadran pourra être endommagée par les sonneries des cloches à cause du frottement des cordes, on vote la suppression du cadran le 18  janvier.

 

Le 14 juin 1786, le prix de 3 000 livres est accepté en supprimant la sonnerie des quarts.

 

Le 30 mars 1787, le Bureau que l’on convoquera pour décider à l’assemblée générale avec les habitants pour délibérer sur les questions suivantes :

1er : le pot de vin de l’entreprise de l’horloge.

2ème : le timbre pour faire sonner les heures de l’horloge lequel sera requis au Bureau par de nombreux habitants.

 

Le 3 avril, l’assemblée des habitants autorise les officiers municipaux à payer 72 livres pour le pot de vin ; mais la seconde question est renvoyée pour étude et Messieurs Tenaille, Bardot et Dumoutot sont chargés le 11 avril de s’assurer s’il est nécessaire ou avantageux d’avoir un timbre pour faire sonner les heures, et désigner l’endroit où il pourrait être placé. Nous n’avons pu trouver ni le rapport de la commission, ni aucune indication sur les suites que pouvait comporter ce rapport. Il semble bien que pendant quelques mois, la question reste en suspens

 

Le 16 septembre 1787, le Bureau délibère sur la proposition faite par le sieur Boudard, chargé de la construction de la nouvelle horloge, d’un nouveau travail à y faire, par le moyen duquel il ne sera nécessaire de la monter que tous les huit jours, et décide de convoquer l’assemblée des habitants pour le mercredi 1er septembre. Cette assemblée autorise les officiers municipaux à traiter avec le sieur Boudard pour ce nouveau travail et à lui accorder jusqu’à la somme de trois cent vingt huit livres d’après le visa de Monsieur l’Intendant.

 

A partir de ce moment là, le sieur Boudard est l’un des peu nombreux signataires aux assemblées des habitants en 1788. Le 14 décembre, il est nommé Boudard, horloger, et il signe TN Boudard avec un paraphe en grille. Sans doute, TN Boudard s’est mis de suite au travail ; mais comme cette horloge constitue un merveilleux assemblage de ferronnerie et d’horlogerie , ainsi que nous l’avons constaté d’après les explications données par M. Millot, horloger à Varzy, qui l’a réparée avec un soin scrupuleux, il a fallu plus d’une année au constructeur pour établir ce monument d’une solidité à toute épreuve…

 

Nous n’avons pu savoir à quelle date l’horloge avait été mise en place ; mais ce fut  sans doute vers le mois de mai 1789, car le 27 mai de cette année, le Bureau de ville prend la délibération suivante :

« Ce jourd’hui, mercredi vingt sept mai mil sept cent quatre vingt neuf, le Bureau assemblé à la manière accoutumée en la salle de l’Hôtel de Ville de cette communauté, il a été observé où il était indispensable de préposer quelqu’un pour la conduite de la nouvelle horloge et éviter par là les dégradations qui pourraient y survenir ; et le Bureau ayant considéré qu’il n’y avait personne en cette ville plus capable de s’en charger que le sieur Toussaint Nicolas Boudard horloger demeurant en cette ville, qui lui-même a été chargé de sa construction ; en conséquence, ledit sieur Boudard mandé, et après en avoir conféré avec lui, il a déclaré que par le désir qu’il a que l’entretien de la dite horloge ne passe pas en d’autres mains que dans les siennes, comme en étant l’auteur, il se soumet de l’entretenir et fournir tout ce qui sera nécessaire pour ledit entretien et les réparations , pourvu toutefois qu’elles n’excèdent point la somme de vingt quatre livres et de la monter régulièrement, le tout moyennant la somme de quatre vingt livres par an ; laquelle proposition a été acceptée par le Bureau sous le bon plaisir de Monsieur l’Intendant de cette généralité, auquel il sera écrit pour demander son autorisation, à l’effet de traiter avec ledit sieur Boudard aux conditions ci-dessus.

 

Signé : Bourlet de Bèze, Bonhomme, Heulard d’Arcy, Duviquet, D.BrugierDepouilly, secrétaire, Toussaint Nicola Boudard.

 

Ceci est fort net : T.N. Boudard, horloger, est l’auteur de l’horloge de la Tour de Saint Martin, et ce point de l’histoire locale est bien établi.

 

Mais qui est ce Toussaint Nicolas Boudard, dont ne parle aucun des chroniqueurs qui se sont occupés de l’histoire de Clamecy, et qui cependant mérite que son nom ne soit pas enseveli dans l’oubli ?

 

T.N. Boudard est né à Clamecy le 11 janvier 1733 ; il y est décédé en sa maison du faubourg de Bethléem, le 26 août 1810. L’acte de décès porte que T.N. Boudard est âge de 78 ans, qu’il est taillandier, fils de feu Nicolas Boudard et feue Pierrette Martin ; que d’autre part, il est veuf de Pétronille Renaut. Les témoins qui signèrent l’acte de décès sont Toussaint Juillard, taillandier âgé de 57 ans, et Pierre Parot, taillander âgé de 30 ans, demeurant tous deux au dit Clamecy et amis de Toussaint Nicolas Boudard. Même dénomination de taillandier dans son acte de mariage avec Pétronille Renaut le 11 janvier 1762. Comme dans les actes de la même époque, il est tantôt appelé horloger, tantôt taillandier. Nous sommes obligés de lui donner ce double qualificatif professionnel, qui explique du reste à la fois la solidité du cadre monumental de l’horloge. Seul un taillandier habile pouvait ainsi travailler le fer et aussi le mécanisme ingénieux et durable des engrenages, roues, et commandes qui sont du fait de l’horloger ; le tout en fer forgé avec une maîtrise telle qu’aucune soudure ne se voit. Cette horloge a 1,75m de longueur, 1,18m de largeur et 1,65m de hauteur.

 

Depuis qu’il a construit l’horloge et qu’il est devenu horloger de la ville, Boudard est connu et estimé. Le 30 novembre 1789, les officiers municipaux et membres du Comité assemblés le désigne comme l’un des huit notables nommés adjoints pour assister à l’instruction des procès criminels ; et le 2 décembre, il assiste à l’assemblée qui décide l’envoi de députés à Paris, pour demander la réunion de Clamecy au département d’Auxerre. Comme les députés n’ont pu obtenir ce rattachement, il signe avec de nombreux citoyens une protestation contre les agissements des députés.

 

Le 29 janvier 1790, il est nommé l’un des officiers municipaux et en cette qualité il signe à plusieurs reprises les délibérations où il est désigné tantôt comme horloger et tantôt comme taillandier. Le 22 novembre de cette année, il donne sa démission. Il ne semble pas avoir pris part au mouvement révolutionnaire et il ne revient à la vie publique qu’en janvier 1795 où on le retrouve en qualité d’officier municipal à la date du 12 pluviose an 3, (31 janvier 1795).

 

Mais il apparaît que déjà son fils Pierre Edme Nicolas, né le 6 mars 1769, qui depuis le 14 mai 1790 a  obtenu la permission de faire mettre une enseigne d’horloger au dessus de sa boutique, collabore avec son pères dans les réparations importantes qui sont faites à l’horloge, dégradations occasionnées à plusieurs reprises par les mouvements révolutionnaires de 1793 et 1794 où plusieurs parties de la Tour furent abimées. Ces réparations coûtèrent à la commune une première fois la somme de 440 livres (18 mars 1794) et une seconde fois la somme de 4180 livres (17 octobre 1795). Les mandats sont délivrés au nom de Boudard, horloger. Or ce titre était donné au fils aussi bien q’au père. Donc Boudard Pierre Edme Nicolas succède à son père comme horloger de la ville ; il assure l’entretien de l’horloge jusqu’en 1837 : à cette époque, il est remplacé par M. Binet jusqu’en 1844 et c’est M. Séguin qui succède à ce dernier.

 

En 1836, un conflit s’élève au Conseil à cause de la marche très peu régulière de l’horloge. Le 4 novembre, le maire est autorisé par une faible majorité à traiter avec M. Binet, horloger, pour la réparation de l’horloge. En février 1837, sur réclamation de M. Boudard demandant qu’on lui laisse la conduite de l’horloge en promettant de faire les réparations nécessaires pour assurer sa marche régulière, le Conseil se partage en deux camps égaux : 7 voix admettant la proposition, 7 la regrettant. Il semble que certains conseillers avaient tenu à ne pas nuire au père du Docteur Boudard, qui s’était dévoué pour les Clamecycois en 1832 pendant l’épidémie de choléra. On renvoie la solution du conflit à une séance ultérieure ; et le 4 mai à la majorité de 10 voix contre 7, le Conseil rejette la demande de M. Boudard et charge le maire d’exécuter la délibération du 4 novembre.

 

Nous nous en tenons là pour l’historique de la Tour ainsi que celle de l’horloge faite par un Clamecycois. L’horloge forgée et construite par Toussaint Nicolas Boudard est encore celle qui, au deuxième étage de la Tour sonne encore la chanson des heures.

 

Peu à l’abri des intempéries, elle a nécessité de multiples réparations. Elle a même reçu des coups dans les temps de troubles ; mais son cadran en fer forgé a résisté à l’œuvre du temps, à la malveillance même. Et quand nous l’avons vue réparée dans l’atelier de M. Millot à Varzy, toute neuve, toute luisante, nous avons manifesté le regret de ne pouvoir la mettre bien en vue dans la Tour, afin de la faire admirer comme le mérite ce chef d’œuvre d’un artisan clamecycois dont le nom mérite de passer à la postérité.

 

                                                                                          J. GADIOU

                                                                                          Professeur honoraire

                                                                                          Conservateur du Musée



Retour à l'accueil