Déchireurs et
Hotteurs
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endant
des siècles, Paris se chauffe au bois et brûle à peu près toutes les ressources
de son environnement. A partir du 16e siècle, pour protéger les forêts de
chasse qui fournissaient l’essentiel des bois de charpente ou bois d’œuvre, on
doit aller chercher très loin le bois à brûler. Le bois est alors transporté
par bateaux depuis l’est : Brie, Champagne, Bourgogne et arrive au
« Port aux Bûches » et « chantiers » qui se trouvent sur le
petit bras de la Seine, près de la rue de la Bûcherie,
entre la rue des Grands-Degrés et la rue du Petit-Pont.
Sous
Henri II, vers 1560, le flottage par train devient la règle et facilite les
approvisionnements. Les chantiers de « déchirage » s’installent au
plus près de l’ancien port « aux Bûches » sur les quais Saint-Bernard et de la Tournelle.
En
raison des difficultés qu’il y avait à passer les ponts pour ces immenses
radeaux qu’étaient les trains de bois, le trafic venant du Morvan s’arrêtait en
amont de l’Ile Saint-Louis.
Au
18e et 19e siècle, le quai de la Râpée et l’île Louviers deviennent les
principaux ports de bois. L’île Louviers, acquise par la ville de Paris en
1671, devient un « chantier » de bois à brûler que Turgot transforme,
en 1737, en entrepôt de bois d’œuvre (planches, poutres, madriers, billes)
destinées à l’artisanat et à l’industrie du bâtiment.
Il en
existait également en aval ; le plus important était celui de la
« Grenouillère » (actuellement quartier de Grenelle) qui fut grignoté
petit à petit par la construction d’hôtels particuliers dans cette partie du Faubourg Saint-Germain,
tel l’hôtel de Salun (ou de la Légion d’Honneur) mais
qui subsista jusqu’à la construction du Palais d’Orsay sous Louis Philippe. Et
si ces « théâtres de bois à brûler » demeurèrent aussi longtemps sur
le Quai d’Orsay, c’est parce que le Faubourg Saint-Germain
continue à se chauffer au bois, tandis que la Chaussée d’Antin, plus
« progressiste », avait déjà adopté le charbon de terre que l’on
débarquait à la Villette.
Plus
loin, l’île Maquerelle, qui s’étendait du port des Invalides au pont d’Iéna,
fut utilisée au 18e siècles pour « déchirer » les bateaux de toutes
sortes que l’on revendait comme bois à brûler.
Les chantiers où le bois était mis à sécher en « théâtre »
n’avaient pas bonne réputation. On redoutait les risques d’incendie, on les
accusait de répandre des odeurs « méphitiques » et d’attirer les
vermines : rats et souris, lézards et couleuvres qui infestaient les
maisons voisines. Aussi la mu
Quelques
mots sur la profession des marchands de bois : ce n’est pas une
sinécure ! Les tracasseries dont elle fait l’objet semblent se justifier,
car elles tendent à protéger le consommateur contre les risques d’un monopole.
Dès
1350, les ordonnances de Jean Le Bon fixent le rôle des mesureurs ou
« mouleurs » de bois qui doivent obligatoirement habiter près du port
de la Bûcherie, de la Grève ou de Saint-Germain
l’Auxerrois pour « servir diligemment le peuple ». Le Parlement de
Paris et le Prévost des Marchands prennent des mesures pour s’opposer aux
spéculations abusives. Dès 1496, le Parlement fixe les prix auxquels seront
vendus les bois à brûler entre les ports de Grèves et de Saint Landry. Les
retards dans le déchargement des bateaux et des radeaux sont considérés comme
suspects et peuvent entraîner des amendes et des confiscations au profit des
pauvres, malades et hôpitaux.
Au
18e siècle, les règlements édictés en l’an X restent très sévères quant aux
lieux d’entreposage et aux méthodes de vente. Les bois doivent être entreposés
dans les chantiers aux portes de Paris, le plus loin possible des habitations.
Les trains qui arrivent du Morvan doivent être garés en amont de la ville
jusqu’à Charenton, Maisons-Alfort et parfois jusqu’au
pont de Créteil, qui attendaient pour rentrer à Paris. Ils ne peuvent être
« descendus » en ville qu’à leur tour et un seul à la fois par
marchand.
Les
ordonnances de l’an X défendent sévèrement le stationnement des trains sur le
chenal destiné notamment aux coches très nombreux qui assurent alors le trafic
des passagers ver s la Bourgogne, la Provence et l’Italie à partir du Port
Saint-Paul.
Par
contre la vente sur bateaux des « fagots » et « bourrées »
(épineux, mauvais bois), des « falourdes » (fagots à deux liens) et
des « cotterets » (fagots de bois fendu).
Ces ventes se font au port de Mirassionnes (quai de
la Tournelle où il ne peut y avoir qu’un bateau). Les parisiens
s’approvisionnent avec difficulté dans les chantiers des marchands de bois où
ils sont soumis aux exigences de contrôleurs et de charretiers qui font régner
un despotisme absolu.
Les
bois sont chargés sur des charrettes tirées par des chevaux ou à bras ;
sur ces dernières ont peut porter une « voie de Paris », c’est à dire
62 bûches de moyenne grosseur et d’un mètre quatorze de long. L’intégralité de
la livraison n’est pas garantie si le client n’accompagne pas lui même le
convoi. Le chapardage commence dès le chantier et se poursuit tout au long des
rues au profit de certaines catégories de commerçants : boulangers,
rôtisseurs, bistrotiers…
Le
débardage ou « déchirage » des trains occupe sur les quais une
population de miséreux, travaillant à longueur de saison dans l’eau jusqu’à la
ceinture. Le « déchirage » se faisait bûche par bûche. Les
« tireurs » travaillaient dans l’eau pour déchirer rapidement un
train. Le travail le plus pénible consistait à extraire de la vase les bûches
les plus basses, qu’il fallait laver dans l’eau avant de les jeter sur la rive
où les « hotteurs » les transportaient sur leur dos ou sur une
brouette vers les « théâtres » des chantiers. Là, les
« empileurs » les classaient par diamètres et essences. Imaginons
l’activité et la peine de ces hommes du bois sur le port de Parus, quand on
sait, par exemple, qu’en 1824, les déchireurs et hotteurs débarquent 1 137 000
stères de bûches, 1 316 000 fagots et 1 690 000 cotrets ou margotins.