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Jules Jaluzot

(1834-1916)

 

170e anniversaire de la naissance

du fondateur des

Magasins du Printemps

 

 

B

ien qu'originaire de Corvol l'Orgueilleux où il naît le 5 mai 1834, Jules Jaluzot a été très lié à la vie Clamecycoise, ne serait ce que pour ses études secondaires classiques commencées au collège de Clamecy, poursuivies au collège d'Auxerre et enfin, en 1850, au lycée Bonaparte. Cet établissement reçoit les enfants faisant partie de cette " bourgeoisie conquérante " qui souhaite que leur progéniture monte dans l'échelle sociale. Jules a t'il été bachelier ès lettres ou ès sciences ? A t'il préparé le concours d'entrée à Saint Cyr ? D'après certains biographes, il est admis à cette école militaire en 1854. Il est plus probable qu'il ait abandonné cette préparation, rebuté par la difficulté de l'examen, pour se lancer dans le commerce. Ses parents acceptent difficilement cette situation qu'ils considèrent comme un " déclassement social ", le situant dans une catégorie inférieure à celles de son grand-père et de son père notaires. Mais Jaluzot à " découvert " sa voie : il ne la quittera plus, et avec quelle réussite !

 

Dès l'année 1853, il commence son apprentissage de " calicot " (c'est à dire commis) dans différents magasins. En entrant au " Bon Marché ", dirigé par Aristide Boucicaut, son expérience et son talent dans les affaires lui font gravir les échelons de cette entreprise, où il termine chef du rayon des soieries, responsable des achats dans l'un des secteurs les plus importants... et les plus rémunérateurs.

 

En 1864, Jaluzot rencontre Augustine Figeac, sociétaire de la Comédie Française, de douze ans son aînée. Ce " coup de foudre " n'empêche pas que ce mariage est très représentatif des mœurs de l'époque : dot confortable (300 000 francs or) et réseau d'alliances, la jeune mariée déposant dans la corbeille de noces ses relations avec ministres, banquiers et conseillers de toutes sortes.

 

Grâce à cette dot, Jaluzot va réaliser son rêve : lancer sa propre affaire. Il va bénéficier de circonstances exceptionnelles ; le vaste chantier dirigé par Haussmann pour moderniser et aérer Paris en supprimant certains vieux quartiers insalubres et ferments dans le passé de révoltes et de barricades.

 

Jaluzot choisi le carrefour du boulevard Haussmann, récemment ouvert, et la rue du Havre. Le quartier est neuf, l'Opéra en construction est susceptible d'attirer beaucoup de monde, ainsi que la gare Saint-Lazare en plein développement. Jaluzot ne démarre pas avec une modeste boutique mais avec un magasin assez important. Certes les marchandises et coupons sont rangés sur les étagères et ils ne sont déployés qu'à la demande de la clientèle. Très rapidement, il fait évoluer les techniques de vente : la marchandise est étalée, les draperies et les tapis exposés au balcon, et les clientes peuvent palper et examiner de près " l'objet de leur désir ".

 

Jaluzot se rend compte très vite que pour durer et se développer, il faut miser sur la publicité ; et son service de presse est excellent : slogans dans les journaux, sur les murs de Paris, dans les catalogues. Les produits du Printemps sont vantés, des ventes exceptionnelles annoncées. Il institue aussi les cadeaux pour les femmes et les enfants, ces derniers ne sont-ils pas de futurs consommateurs ? En septembre 1870, les Prussiens assiègent Paris. Jules Jaluzot demeure dans la capitale et fait partie de la Garde Nationale, ainsi que ses cadres et employés. La correspondance de l’époque « témoigne d’un généreux sentiment patriotique ».

 

Le 28 janvier 1871, l’armistice et la capitulation de Paris sont signés. Comme de nombreux Parisiens, Jaluzot s’insurge contre cette reddition sans combat. Le 18 mars 1871 voit le commencement de la Commune. On ne connaît pas les positions politiques de Jaluzot à cette époque. On peut seulement supposer qu’il fit partie de cette « majorité silencieuse », ni communarde, ni versaillaise, qui a subi plutôt que participé.

 

En avril 1874, il s’agrandit rue de Provence. Le développement se fait en hauteur, d’où la nécessité d’installer des ascenseurs dont le confort est d’ailleurs vanté dans la publicité.

 

Le 5 avril 1874, M. le Curé de la Madeleine va bénir ces nouveaux magasins et les ascenseurs, ce qui n’empêchera pas que ces bâtiments soient ravagés le 9 mars 1881 par un gigantesque incendie. L’origine serait due à une mauvaise manœuvre de l’employé préposé à l’allumage du gaz qui aurait mis le feu à un rideau. Jaluzot et sa femme, ainsi que les commis et le personnel féminin habitent au 4e étage et échappent de justesse au sinistre grâce à la célérité de Jules qui dirige l’évacuation.

Il veut reconstruire le plus rapidement possible. Les indemnités versées par les compagnies d’assurance sont insuffisantes. Il n’hésite pas à investir sa fortune personnelle. Et en 1882, la partie incendiée est reconstruite, et les autres bâtiments rasés pour faire place au nouvel édifice ceint de quatre tourelles : une nef longue de 50 mètres, haute de 20, sous les vitraux d’une verrière ;le fer est le matériau roi tant pour l’armature que la décoration. Le magasin adopte un nouvel éclairage ; la lampe à filament incandescent. C’est un temple dévolu à la femme dont la devise est : « Toute femme élégante est cliente du Printemps ». Émile Zola s’est beaucoup inspiré de la réussite de Jaluzot pour écrire « Au bonheur des Dames ». En parlant de l’établissement d’Octave Mouret, il dit : « C’est la cathédrale du commerce moderne, solide, légère, faite pour un peuple de clientes ».

 

C’est aussi l’époque où Jaluzot institue la vente par correspondance en France et en Europe, d’où le tirage des catalogues en plusieurs langues et l’implantation des bureaux chargés de recevoir les marchandises et les expéditions au destinataire.

 

Dans cette ascension économique, notre Nivernais n’oublie pas son département d’origine. D’abord à Clamecy, où il fonde la « Cordonnerie Nivernaise » (dont une partie des bâtiments subsiste de nos jours), employant en 1900 une centaine de personnes pour la fabrication des chaussures « Paris Lux ». Il est aussi propriétaire de la cimenterie de Corbigny. Il développe le travail à domicile par le biais de la Passementerie Nivernaise, vouée à la fabrication de ganses et galons destinés à l’ornement de vêtements, de rideaux, etc… Dans l’Aisne, il possède la « Sucrerie Centrale » d’Origny-Sainte-Benoîte, à 15km à l’est de Saint-Quentin. L’empire de Jaluzot s’accroît, mais parallèlement il se trouve impliqué dans des affaires litigieuses qui finiront par lui coûter cher.

 

En février 1888, il se lance dans la politique et fonde le journal « La Presse », organe officiel du général Boulanger. Puis il crée « La Patrie » qui dénonce le scandale de Panama : avec 70 000 exemplaires vendus quotidiennement, c’est le plus grand journal du soir parisien, s’adressant à un public populaire : ouvriers, mais aussi artisans et commerçants. A l’époque, les journaux nationaux ont moins de poids sur leurs lecteurs, donc les électeurs potentiels, que la presse de province. En 1888, Jaluzot fonde à Clamecy une imprimerie chargée de la publication de « L’Indépendance », puis « Le Journal de Clamecy » et « L’Électeur de Clamecy ». Enfin, il rachète « Le Clamecycois », il est ainsi possesseur de 4 journaux alors que son adversaire politique, André Renard, subventionne uniquement « L’Écho de Clamecy ». Mais dans cette presse locale, on est loin des débats d’idées et de propositions concernant l’avenir du pays !

 

Pour Jaluzot, c’est le début d’une période difficile, tant sur le plan économique que politique ; et aussi de tragédies familiales qui vont le marquer. Il est compromis dans le krach du sucre en 1905. Absent pour assister aux obsèques de son frère, il est « démissionné » lors de l’assemblée générale des actionnaires du Printemps. Le Tribunal de Commerce de la Seine déclare en liquidation judiciaire la Société Agricole d’exploitation des établissements Jaluzot. Il est inculpé par le Parquet de Paris pour abus de confiance et condamné à un an de prison avec sursis, 3000 francs d’amende et une inéligibilité de cinq ans. Pour rembourser ses créanciers, il doit mettre en vente ses biens et immeubles : son hôtel particulier à Paris, son château de Pontoise, celui de Poussignol près de Château-Chinon, sa ferme de Villaines, commune de Breugnon près de Clamecy, etc

 

Après tous ces déboires financiers et politiques, Jaluzot part, semble t’il, au Maroc où il achète des milliers d’hectares de terrain à des fins spéculatives. Aux législatives du printemps 1914, il est candidat de « tous les libéraux », de tous les hommes d’ordre et de progrès, contre André renard, candidat du « Bloc républicain ». C’est ce dernier qui remporte le siège. On peut se demander ce qui a poussé Jaluzot, alors âgé de 80 ans, à se lancer dans cette nouvelle bataille électorale : son goût du risque ? Sa très grande combativité ? Plus probablement il porte toutes ses espérances sur son fils unique Jules, et veut l’aider à assurer son avenir politique.

Trois mois après ces élections, la guerre commence. Jules Jaluzot n’est pas épargné par cette « Première Guerre Mondiale ». Son fils, incorporé comme lieutenant eu 204e régiment d’infanterie à Auxerre, meurt le 6 septembre 1914 au cours de la bataille de la Marne.

 

Il partage ses dernières années avec sa fille, mariée à Paris, et sa propriété de Corvol l’Orgueilleux. Il mène une dernière bataille pour ramener le corps de son fils dans son village natal, les soldats morts à la guerre devant être impérativement ensevelis sur leur lieu de combat. Il peut assister à cette inhumation peu de temps avant sa mort, survenue le 21 février 1916.

Jules Jaluzot a emmené dans sa tombe pas mal de secrets. Mais, avec son ambition, ses réussites et sa démesure, il est le reflet parfait de ce « monde des affaires » caractéristique de la IIIe république.

 


© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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