La promenade et la Mirandole
« Dans le centre de Clamecy, il y a une « Promenade » charmante qui domine le quartier des Jeux, celui de Bethléem, et d’où la vue s’étend sur le cours de l’Yonne, sur la montagne de Sembert et sur la côte des Plantes (Vaugorge), qui est garnie de vignes … »
Ainsi écrivait Amédée Jullien dans une lettre datée de 1852.
Ce lieu a conservé à travers le temps, le nom de « Promenade ». Il n’était que l’extrémité du versant est des « Chaumes » dit « Bouffaut », suite de friches, buissons et bosquets qui s’étendait des « Bois du Marché », bois communaux à la fin du 16ème siècle jusqu’au « Mur de la Ville », flanqué de la Porte du Marché et la Tour Lourdeau.
Alexandre Sonnié-Moret note : « La « Promenade » n’était qu’une butte informe ; l’édification de celle qui existe aujourd’hui remonte à 1742, ainsi qu’il résulte de divers actes devant Massé, notaire… »
Mais il avait existé de tout temps, un mauvais chemin, un ravin » sur l’emplacement de la voie à qui devait être attribuée plus tard, le nom assez inattendu d’une éminente personnalité italienne !
Dès le 17ème siècle, la municipalité de Clamecy avait reconnu la nécessité d’établir entre : la route des « Chaumes » (Tannay), celles des vallées du Sauzay (Corvol) et du Beuvron (Brinon), une communication directe qui ne traversait pas la ville. En effet, les charrois des bois provenant des forêts voisines, trop près des ports pour être flottés, s’effectuaient à l’aide de nombreuses charrettes lourdement chargées qui devaient obligatoirement emprunter le centre de la cité, pour aller des « Portes du Marché et de Beuvron, à la porte de Bethléem et à celle d’Auxerre. D’où une détérioration rapide des chaussées, une perturbation des marchés qui se tenaient les mercredi et samedi sur la place du Grand Marché.
Or entre la butte qui devait constituer la « Promenade » et la côte même du Crôt Pinçon existait ce « mauvais chemin » rapide, parallèle aux fossés de la ville descendant vers la Tour Lourdeau. Il suffisait de construire un pont au pied de celle-ci sur le bief du Moulin Jomier pour atteindre la place des Barrières (actuelle Emile Zola), la grand’rue de Bethléem renfermé (Marié-Davy) et rejoindre les ports de flottage.
L’argent nécessaire pour la construction du pont et des voies d’accès fut fourni par le produit de la coupe d’un quart de la réserve des Bois communaux du Marché. Comme on ne pouvait édifier le pont sans entailler le versant est de la butte, on bâtit un mur de 30 pieds de haut dominant le pont « de sorte que la partie du plateau restant constitua une jolie promenade communiquant par le pont avec une autre place, le long de la rivière Yonne ».
C’est le quartier qui, depuis, a été appelé « les Jeux » parce que les notables habitants avaient établi leur « paume », qui se tenait auparavant dans le Grand Marché.
Le pont aux dimensions réduites, probablement faute de fonds, fut appelé « Pont des Chiches », nom qui lui resta même après sa reconstruction en 1824 pour l’établissement du Canal du Nivernais, ses arches étant devenues trop basses.
Le principe de la création de la nouvelle voie permettant l’accès aux ports de flottage est approuvé par l’Intendant de la Généralité d’Orléans, ainsi que l’exigeait l’arrêt du Conseil d’Etat du Roi de 1739.
Les remblaiements et constructions posèrent de nombreux problèmes …Mais en fin de compte, les murs exécutés de mai 1742 à novembre 1743, sont ceux qui, aujourd’hui encore, constituent les contreforts de notre « Promenade ». Dans ces murs plus que deux fois centenaires, on ne relève aucun affaissement, ni lézarde. C’est un bon travail qui fait honneur à ses exécutants.
Dès le nivellement de sa surface, la « promenade » fut plantée de tilleuls et devint bientôt le rendes-vous des habitants de la ville, qui vinrent y danser et donner des fêtes où le « calme » fut plus d’une fois absent !
A noter en particulier, l’abattage d’arbres. Charles Milandre souligne : « Les mutilations des arbres des places et avenues ont, à toute époque, existé à Clamecy ; et de nos jours encore, on peut avoir la surprise de les observer, en même temps que la quasi impunité dont jouissent les auteurs de si absurdes méfaits ! »
Le public se rendant de plus en plus à la « Promenade », la municipalité y fait poser en 1757, cinq bancs en pierre . La nécessité d’une surveillance plus active allait bientôt devenir nécessaire. Cette fonction est attribuée au « Garde de la Mendicité » dont le rôle était de parcourir les rues de la ville et des faubourgs, et d’arrêter et mener au Procureur fiscal, tous ceux trouvés mendiant, et les conduire hors des barrières, s’ils ne justifiaient pas d’un logis à Clamecy. Le premier de ces gardes nommé le 26 février 1764, fut un sieur François Nicolas Gautherot, dit « Sans Souci », lequel « pour qu’il puisse en imposer aux mendiants étrangers qui lui résistaient parfois ignorant sa qualité, fut doté d’un habit de livrée en drap, d’une bandoulière aux armes de la ville, d’une épée …et d’une canne. L’été, l’habit était en toile blanc ».
La fréquentation de la « Promenade » allant croissant, on vit bientôt, en 1769, un « particulier » solliciter de la municipalité l’autorisation d’y établir un « café public » dans une grange attenante et d’ouvrir une porte de communication entre ce café et la « Promenade » en s’engageant à la supprimer « dans le cas où la maison cesserait de servir à l’agrément et au bien public. » L’autorisation est accordée le 16 juin 1769. Et c’est une grande première.
Le café, d’un usage très limité dans la province, ne se consommait guère qu’au sein des familles aisées. Et qu’à l’exemple du thé, de l’hydromel, du chocolat et du cacao, le débit de café n’avait lieu à Clamecy que dans les officines des apothicaires, ou par l’entremise de colporteurs munis d’une autorisation du juge de police de la localité.
Durant toute la période révolutionnaire, la « Promenade » fut peu utilisée pour les nombreuses fêtes civiques du nouveau régime, (Cf. l’article sur les fêtes civiques à Clamecy). Les lieux de prédilection des révolutionnaires étaient la place des Barrières et le Pré-le-Comte, où étaient élevés des « autels de la Patrie » ; le Grand Marché était orné dans sa partie haute par la statue de la Liberté, due au « ciseau » du statuaire-perruquier Praxitèle Barrot, et les « Chaumes », en haut du Crôt Pinçon, où avait été édifiée une « Montagne » de quelques pieds de haut.
Une seule manifestation eut lieu sur la « Promenade » lors de l’organisation d’une « Garde Nationale ». Le 5 avril 1790, les officiers de cette garde prêtent, devant la municipalité, le serment suivant ; « Je jure de défendre la Patrie contre les ennemis du dedans et du dehors, de mourir plutôt que de souffrir l’invasion et de n’obéir qu’aux ordres de l’Assemblé Nationale. » Le 27 mai suivant, un drapeau tricolore portant les armes de la ville est béni et remis au nouveau corps constitué. Après discours et Te Deum, un festin a lieu sous les ombrages de la « Promenade » ; au cours de ce banquet, est déclamée par son auteur Edme Lazare Chevanne de Surgy, une poésie dont voici la dernière strophe :
« Chantons, buvons, trinquons, mes frères,
Sapeurs, grenadiers et chasseurs.
Que la réunion des verres
Exprime l’union des cœurs.
Quand on a bu, l’âme est plus forte,
Au feu, l’on va tout courant !
R’li, r’lan, rantanplan,
L’diable m’emporte !
Rantanplan,
Tambour battant ! »
Alors que les « Autels de la Patrie », la statue de la Liberté, la « Montagne » ainsi que l’Arbre de la Liberté de la place de Bethléem, (qui n’avait d’ailleurs jamais pris racines), disparaissaient, les tilleuls de la « Promenade » s’étaient développés ; et les soirs d’été, la foule des oisifs venait sous leurs feuillages, respirer la fraîcheur qui montait de la vallée de l’Yonne.
Souvent on venait « en masques » tout comme au temps du Carnaval ! Et ces réunions n’allaient pas sans quelques intrigues que favorisait l’obscurité du lieu…Plus tard, la « Promenade », lieu de danses publiques, sera illuminée par un réverbère. Il n’en existait que quatre dans toute la localité !
Sur la demande de la Société Philharmonique, un arrêté de la municipalité du 30 mai 1894 autorise l’édification en son centre d’un kiosque à musique, utilisé pour les concert et fêtes, qui, à la belle saison, ont longtemps continué à se donner en cet endroit.
La rue que l’on a dotée d’un nom assez inattendu du point de vue local, « Mirandole », a subi de nombreuses transformations. C’était originairement un exutoire naturel vers la vallée, des précipitations atmosphériques reçues par les « Chaumes ». Le passage des eaux en érodant la surface du sol, en avait fait peu à peu un sentier naturel conduisant du bas de Crôt Pinçon à la vallée de l’Yonne.
En 1742, très peu de rues et de places avaient à Clamecy, une appellation particulière. Elles étaient le plus souvent désignées par leurs points de départ et d’arrivée.
Le 3 Prairial an II (22 mai 1794), le Conseil Général de la Commune délibère sur les noms à donner à chaque rue ; mais cette délibération n’eut pas de suite immédiate. Le nom particulier attribué ne devient officiel qu’en 1833 et ne figurera en place à chaque coin qu’en 1852.
Il n’existe pas d’explication valable au pourquoi de ce nom italien appliqué à cette rue par la municipalité en 1833. A la même époque, le cadastre de Brèves donne le même nom à un lieu dit constitué d’une côte rapide. Doit-on en conclure de part ces similitudes de noms et de conditions que l’appellation « Mirandole » a été motivée par l’existence d’un terrain plus ou moins « à pic » ?
Nos ancêtres auraient-ils pris « Pic de la Mirandole » pour une montagne escarpée, à l’instar des héros d’une fable de La Fontaine qui avaient pris Le Pirée pour un homme !
Annie Delaitre-Rélu
(d’après les « Vieilleries Clamecycoises de Charles Milandre)