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Les veillées d’été

dans les faubourgs de Clamecy

 

C’était l’heureuse époque où la rue de l’Abreuvoir recevait l’ombre d’une rangée de peupliers bordant le Pré-le-Comte et où la télévision n’existait pas.

 

A partir du mois de juin, après le souper, la population des faubourgs, et de l’Abreuvoir en particulier, se rassemblait par petits groupes de « bon voisinage », devant les pas de porte pour passer le plus agréablement possible les « veillées  à la fraîche ». On sortait des chaises sur les trottoirs, et les conversations, (et les cancanages !) allaient bon train. Mes souvenirs personnels remontant aux années 1938-39, les conversations des adultes étaient largement alimentées par l’inquiétude engendrée par une situation internationale préoccupante.

 

Les enfants faisaient bande à part ; et notre petit groupe se réunissait « sur le banc » de la cousine C…sous les acacias qui bordaient côté bief , la rue devant les 57 et 59. Notre occupation principale était d’apprendre et de chanter les derniers succès à la mode que distillait la radio d’alors. Mes parents avaient été parmi les premiers habitants de la rue à posséder un poste de T.S.F. J’étais donc à l’avant-garde dans la connaissance des dernières nouveautés musicales. Je me souviens d’une chanson de « circonstance » : « Tant qu’il y aura des étoiles sous la voûte des cieux, y aura dans l’azur sans voile, du bonheur pour les gueux… » C’était l’un des grands succès de l’idole du moment : Tino Rossi.

 

C’était également les débuts du « fou chantant », Charles Trenet : « Je chante, je chante soir et matin, je chante sur mon chemin… » Et nous aussi, nous chantions à tue-tête !

 

A l’arrivée des vacances de juillet des cousins de Paris, un peu « zazous », nous devenions des « Mademoiselle Swing, Swing, Swing, oh terriblement swing, swing, swing… »

 

Fernandel triomphait avec : « Barnabé, Barnabé, c’est assez facile à épeler ; Barnabé, Barnabé, Bé ar bar n a na b é bé ». Mais nous préférions « Le lycée Papillon ». Nos grands succès étaient incontestablement « La Java Bleue » (celle qui ensorcelle !), et « Ah ! Le  petit vin blanc »(qu’on boit sous les tonnelles !).

 

Les dernières veillées de plein air de l’avant guerre se terminent en août 1939 avec une chanson prémonitoire de Jean Sablon : « Je tire ma révérence, et m’en vais au hasard, sur les routes de France, de France et de Navarre… »

 

D’autres veillées auront lieu, mais à l’intérieur des maisons, autour des postes radios devenus plus nombreux : la 5ème de Beethoven (Pon Pon Pon Pooon) et « Ici Londres ». Les « messages personnels », tels « Ce soir, le Loup sortira du bois » annonce faite aux maquisards des bois de Creux d’un parachutage de vivres et de munitions proche ; ou encore « Les sanglots des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone. », prémices du débarquement du 6juin 1944.

 

Après la guerre, il y aura encore quelques veillées sur les pas de portes. Notre chorale reprend ; nous avons grandi : premières amours :   Sans vous plus rien ne sourit, le ciel fait la moue, le monde est morose ; sans vous s’effeuillent les roses et l’oiseau se meurt d’ennui ! » Le célèbre « Forever and ever » se traduit en français par « Etoile des Neiges » ! Line Renaud triomphe avec son incontournable « Cabane au Canada » ; et Edith Piaf et les Compagnons de la Chanson avec « Les Trois Cloches ».

 

La télévision commence à se populariser. Ma famille, assez novatrice, est l’une des premières à avoir un poste T.V. Elle invite quelques relations à venir voir les « émissions de prestige ». Il y en a de nombreuses et d’excellente qualité. Puis, petit à petit, la télévision envahit les loyers français pou r le meilleur et pour le pire…

 

Le groupe des « Amis du banc » a éclaté. Chacun s’achemine vers son destin. Les dernières veillées entre amis se situent pour moi à Auxerre où dans l’arrière boutique de chez Doudou, nous écoutons la chanson interdite de Boris Vian, « Le Déserteur »… Et durant les après-midis dansants du Casino d’Auxerre, Marie-Jo, Michèle, Colette, Gilberte, Jean-Marie, Claude, Roger, vous souvenez-vous,  lorsque nous fredonnions :

 

                            “Si tu viens jamais danser 

                              Chez Temporel un jour ou l’autre

                              Pense à ceux qui tous ont laissé

                              Leurs noms gravés auprès du nôtre… »

                                          


© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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