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Pierre Cuve

ou Couve, ou encore Couvé

 

Architecte présumé du portail et de la Tour de la Collégiale Saint Martin

 

 

« Et l’on vit s’avancer en se dodelinant au dessus des porteurs, couronné de lauriers, la toque sur l’oreille et l’épée sur le ventre, le duc en effigie. […] Mais pour le vrai, et le bon de la chose, c’est que, n’ayant eu le temps, ni les moyens de faire un portrait ressemblant, nous avions bonnement pris dans les greniers de la maison de Ville une vieille statue, (on n’a jamais bien su ni de qui, ni de quoi !). Sur le socle on lisait seulement le nom à demi rongé de Balthazar ; et depuis on la nomma « Balduc ». Mais qu’importe ? Pourvu qu’on croie, on voit partout celui qu’on veut. […] Il fallait un duc ce jour-là. On  le trouva ! »         

 

Nous connaissons la suite racontée avec verve par Romain Rolland dans son « Colas Breugnon », chapitre XI : « La Nique au Duc ». Les restrictions imposées par le Duc de Nevers sur la jouissance de sa propriété du « Pré-le-Comte », (cf. texte du même nom), entraînent l’organisation par de joyeux Clamecycois d’une fête en l’honneur du Duc Louis.

Sa pseudo statue voilée, respectueusement saluée, est promenée dans la ville, accompagnée d’un cortège composé du clergé, des échevins, des corporations, bâtons et bannières en tête, et de toute la population bien décidée à honorer le Duc dans son Pré. « Il faisait bon sur l’herbe ! On y balla, mangea, joua, campa tout le jour autour de ce bon duc…Et le lendemain matin, le pré est pareil à un parc à cochons. Plus un fil de gazon. […] C’est ainsi que les Clamecycois peuvent tout à la fois être sujets soumis à leur Duc et au Roi, et n’en faire jamais qu’à leur tête : elle est en bois ».

 

C’est cette statue dite de Pierre Cuvé-BalDuc que l’on peut apercevoir actuellement dans un enclos de verdure au coin de la rue du Grenier à Sel et de la rue Bourgeoise. Le personnage haut de cinq pieds, vêtu à la mode du XVIème siècle, a une figure informe, la tête est couverte d’une toque d’où s’échappent des cheveux flottants retombant sur les épaules ; la main droite

tient un rouleau, le bras gauche est cassé.

 

De ce personnage, on ne connaît pas autre chose que la mention figurant au « Vieux Registre de la Fabrique » : « Le 9 juin 1515, Pierre Cuvée, maître tailleur de pierres fait poser la première pierre du portail de l’église Saint Martin ».

 

Etait-il originaire de Clamecy ? Le même livre de Fabrique l’affirme ; mais les documents antérieurs clamecycois ne mentionnent aucun Cuvé. Par contre ce nom se trouve mentionné au XVIème siècle : un certain Jean Cuvé était échevin de la ville dans les années 1550 et un autre procureur général en 1573 et 1574. Cette famille ne semble pas avoir subsisté après le XVIIème siècle.

 

Louis Bougier (cf. biographie dans les personnalités clamecycoises) affirme que Pierre Cuvée fut non seulement l’architecte du portail de Saint Martin, mais aussi celui de la Tour, commencée en 1497, et même des parties de la nef  adjacente, édifiées à peu près dans le même temps.

 

Il est certain que la façade et la Tour de Saint Martin offrent des ressemblances avec les Tours des cathédrales de Nevers et d’Auxerre ; et de la façade de Saint Maclou de Pontoise. L’architecte de Saint Martin (quel qu’il soit) avait probablement été formé dans l’un de ces ateliers qui fleurissaient à l’époque. Mais le sculpteur qui orna cette façade et le parvis demeure inconnu.

 

L’ensemble parait avoir été achevé en dix ans. Pierre Cuvé l’a-t-il vu terminé ? On peut en douter. La tradition orale veut qu’il ait péri au cours des travaux : lors de la surveillance de l’édification, il serait tombé d’un échafaudage et serait mort dans la chute ; ou un bloc de pierre mal équilibré l’aurait écrasé ; son souvenir aurait été perpétué en sculptant son effigie  dans la pierre meurtrière. Cette statue aurait été placée en haut d’une maison qu’il fit construire en face de l’église, d’où il aurait contemplé son œuvre, le bras gauche (actuellement disparu) tendu en direction de l’édifice.

 

Une autre tradition veut reconnaître son portrait dans une tête sculptée existant à la face sud est de la Tour. Mais tout cela ne repose sur aucune certitude. Ce qui permit à Louis Bougier d’écrire une histoire très romancée, non dépourvue d’humour, intitulée « Bat-le-Duc », parue  dans le bulletin de la Société Scientifique et artistique de Clamecy de l’année 1929.

 

La partie la plus vraisemblable de cette œuvre est l’évocation d’un Clamecy moyen âgeux, fier de ses solides murailles, populaire par ses foires aux Brandons et de la Bonne Dame de Septembre, de son pèlerinage de la Foulquière sur le mont de Sembert ombragé de chênes et de châtaigniers, et celui de Choulot pour honorer Saint Roch guérissant la peste et la rage ; sans oublier son évêché in partibus de Bethléem… Mais tout cela ne suffisait pas à l’orgueil de la population qui voyait leur église inachevée, réduite à sa nef centrale. D’autant plus que cet état de chose entraînait malveillances et railleries des bourgs voisins !

 

Pourquoi la cité négligeait-elle son Eglise ? C’est qu’au XIIIème siècle on avait bâti le beau et élégant vaisseau central qui avait coûté fort cher ; la commune s’était endettée et avait emprunté « à des Juifs qui l’exploitèrent et à des Lombards qui tondirent ras la peau… »

 

C’est dans ce Clamecy qu’arrive un beau jour, Pierre Cuvé qui vient de faire un séjour en Italie où il aurait étudié sous la férule des maîtres de la Renaissance, avec un tel bénéfice qu’à vingt-cinq ans, « il peignait comme le Pérugin, raisonnait sur les mathématiques comme Pic de la Mirandole, et aurait, s’il eut été noble, commandé des armées ainsi que Gonzalve de Cordoue ! » Encore qu’il rapporte tout glorieux du siège de Novare auquel il a participé, le surnom de «  Bat-le-Duc ».

 

Les bons vins de l’hostellerie de la rue de la Monnaie, les beaux yeux de Berthe, nièce d’un chanoine de la Collégiale aidant, il se plait à Clamecy ; et sa compagnie est si appréciée qu’on ne veut pas le laisser partir. On lui propose de prendre la direction des travaux de l’église. Cuvé accepte.

 

La suite du roman est consacrée à l’idylle entre Pierre et Berthe, malgré l’opposition de l’oncle chanoine et de Guillaume, prétendant à la main de la belle.

 

Une « providentielle » crue de l’Yonne menace l’île Margot où demeure la jeune fille. Cuvé accourt et sauve la famille.

 

Happy end ! « Bat-le-Duc épouse Berthe le jour de la Saint Martin dans la délicieuse chapelle, dont la dédicace avait été célébrée le même jour ! »

 

L’histoire ne nous dit pas « s’ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Mais « peu de temps après, le jeune couple s’installa dans l’hôtel que le maître s’était fait bâtir, bijou de la Renaissance, dont les arcades brodées offraient asile en temps d’averse aux pauvres gens surpris par la pluie. C’était comme un symbole de l’hospitalité qu’exerçait envers tous, le nouveau bourgeois de la bonne ville. » (sic)

 

Ainsi se termine, selon Bougier, le roman de « Bat-le-Duc » écrite en février 1878, et qui a naturellement aucune valeur historique et biographique.

 

                                                                          Transcrite en février 1973 par Jean Rélu.


© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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