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La rentrée scolaire de l’année 1940-1941

 

(d’après les souvenirs d’une fillette de 7 ans)

 

 

Au retour d’un exode épique, cette fin d’été 1940 à Clamecy est marquée par l’invasion des « verts de gris », dont les voitures déambulent à toute vitesse, dans les rues étroites…Plus de parties de marelle, de quatre coins ou de ballon prisonnier sur la chaussée…

 

Les parents nous surveillent étroitement : il est hors de question d’accepter les friandises que nous proposent quelques occupants « bien intentionnés » ; paraît-il que les bonbons sont empoisonnés…

 

Le couvre feu interdit maintenant les soirées entre voisins sur les pas de porte. On se regroupe chez le voisin le plus proche possédant un poste de radio. La personnalité du Maréchal Pétain est l’objet de toutes les conversations : il « vient de faire don de sa personne à la France ». Pour la majorité des Clamecycois, il est « le héros de Verdun », le « père des Français » et le « grand père bienveillant » de la jeunesse…

 

Nous, les enfants, sommes beaucoup plus préoccupés par la future rentrée scolaire du 1er octobre. Le repliement des enfants parisiens, dès le printemps 40, a fait tripler l’effectif des enfants en âge d’être scolarisé. Les bâtiments du Collège ont été réquisitionnés et la ville manque de locaux… Ma classe doit être installée dans la « prison » ; mais j’ai la chance de garder mon institutrice. Certains de mes camarades sont forts inquiets ; les effectifs accrus entraînent un manque d’enseignants (beaucoup d’ailleurs sont prisonniers). La municipalité a fait appel à des professeurs en retraite, et aussi à d’anciens gendarmes. L’un de ces derniers  s’est déjà acquis (uniquement sur son aspect physique un peu revêche) une réputation de peau de vache…

 

Le 12 octobre 1940, je retrouve mon institutrice et découvre ma nouvelle classe aux fenêtres à barreaux (une salle dépendant du  Tribunal Correctionnel).

 

C’est aussi le moment où le gouvernement de Vichy déploie un énorme effort de propagande pour « sacraliser le sauveur du pays » et jeter « un voile pudique » sur la présence allemande et le choix de la collaboration.

 

L’hiver 1940 est rude dans le Morvan : deux mois de neige haute de 50cms. Mais grâce à « l’entraide d’hiver du Maréchal », chaque foyer reçoit 50 kilos de charbon ! Les enfants des écoles sont conviés au « goûter du Maréchal », où l’on nous distribue avec chocolat et chaussons aux pommes, un portrait du chef de l’Etat, (dix millions de cartes postales-portraits sont édités en 1940, le culte de la personnalité frisant l’idolâtrie).

 

Pour le « Noël du Maréchal », chaque enfant de France doit envoyer une lettre au Maréchal ; les plus belles seront récompensées ! Notre institutrice, craignant sans doute un manque d’enthousiasme pour l’élaboration de ces lettres, transformera cet exercice…en composition  de rédaction ! A la suite de cette opération, le secrétariat général à l’Information publie la photo d’une écolière tenant une lettre dans ses mains et qui proclame ravie « Il a répondu à deux millions d’enfants »

 

Le Père Noël se met de la partie, et les souliers devant la cheminée froide, s’ornent  d’albums à colorier ou de découpages sur la vie du Maréchal, d’ardoises d’écolier avec en exergue une phrase de Pétain…Un de mes camarades suscita ma jalousie avec un plumier bâton de maréchal ! Mon manque de sagesse (ou le bon sens de mes parents) me priva de ces cadeaux pour ce Noël 1940.

 

Début 1941, notre répertoire musical s’enrichit de quelques chansons folkloriques : « et chantons en chœur notre beau Morvan, de tout notre cœur et bien simplement ». Et  surtout le célèbre « Maréchal, nous voilà », qui deviendra l’hymne quasi officiel de l’Etat, et en ce qui me concerne, agrémentera les différentes visites des Inspecteurs d’Académie.

 

La presse enfantine, notamment Cœurs Vaillants et Ames Vaillantes, remet à la mode les héros du passé. Deux personnages historiques connaissent une grande faveur : Jeanne d’Arc (qui bénéficiera d’ailleurs d’une fête spécifique instituée en 1941) et Vercingétorix. Ce dernier est très populaire dans la cour de récréation, depuis que notre institutrice nous a raconté que ce chef gaulois a créé la première coalition nationale contre les Romains à Bibracte sur le Mont Beuvray… à moins de 40km de Clamecy. Jeanne d’Arc, Vercingétorix, Philippe Pétain, tous trois présentés à la jeunesse comme sauveurs du pays en un temps où la patrie subissait une occupation étrangère

 

En mai 1941, le Secrétariat Général à la Famille met en place une « fête des Mères », ce qui nous vaudra deux nouveaux exercices de français et de dessin sur le thème : « la plus belle lettre adressée à votre Maman, en prose ou en vers, et décorée artistiquement ». Bien entendu les meilleures seront récompensées à l’échelon national…

 

 

La fin de l’année scolaire voit « notre retour à la terre », car, selon le Maréchal, « La Terre, elle, ne ment pas ». « L’apprentissage des jeunes citadins à la campagne » nous invite aux « loisirs dirigés » du samedi après midi.

 

 

Je garde le souvenir d’un joli samedi de mai, où, encadrés par nos instituteurs, nous nous livrâmes à l’hannetonnage (à cette époque, les insecticides étaient peu employés et les hannetons, une nuisance pour les arbres fruitiers). L’opération était très simple : tandis que les hannetons digéraient leur banquet nocturne, engourdis sur les feuilles des arbres, il suffisait de secouer énergiquement ces derniers ; et les insectes tombaient lourdement à terre. Ils étaient recueillis dans des boîtes en fer, et détruits…ou libérer un peu plus loin comme le faisaient quelques âmes sensibles.

 

Début juillet, nous partîmes à la chasse aux doryphores ; on nous lâcha dans un champ de pommes de terre près du Val des Rosiers, et sus aux doryphores. Nos clameurs victorieuses alertèrent le propriétaire du champ, qui, devant le saccage, nous expulsa sans aménité. Tant pis pour le maréchal ; ce fut là notre dernière expérience rurale.

 

Un peu « Image d’Epinal », ces souvenirs. Mais n’est-ce pas le régime de Vichy qui remit à l’honneur l’imagerie populaire en sommeil entre les deux guerres, en éditant la série sur la vie du Maréchal : rencontres avec un paysan, avec des anciens combattants, avec les enfants des écoles. Vichy joue sur le mythe d’une société française regroupée autour du clocher du village et sur un nationalisme ardent replié sur lui-même et sur son passé.

Heureusement l’adhésion des Français à la mystique du chef providentiel va décliner face aux réalités tragiques de l’occupation et aux appels de la Résistance.

 

 

 

 

        

 

 

© 2005 par Annie Delaitre-Rélu
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