Edouard Séguin
(1812-1880)
L’instituteur des « idiots »
A |
près la Seconde Guerre Mondiale, le lieu dit « la Ferme Blanche »est investi par l’office des HLM, faisant du village d’Armes un grand faubourg de Clamecy, dont l’artère principale porte le nom d’Edouard Séguin. Qui est cette personnalité ? Certainement pas le propriétaire de la vaillante chèvre qui, d’après Daudet, lutta une nuit entière contre le loup ! Peut être un résistant dont les actes héroïques demeurent ignorés de la majorité de la population ? Seul Internet —
merveilleuse source d’informations
— peut lever ce mystère. Et miracle : Le nom de Séguin apparaît en tant que « instituteurs des idiots » !... Il est aussi le premier à avoir décrit le physique particulier de ces personnes au visage rond, aux yeux bridés, à la taille courte, lié au « mongolisme », actuelle trisomie 21. Suit une abondante documentation en anglais, car Edouard Séguin est très connu aux Etats-Unis.
Au 19e siècle, le terme « idiot » appartient au langage courant et définit de manière générale les enfants déficients intellectuels. Par la suite, ce mot s’est « usé » pour passer dans le langage courant et devient vulgaire et insultant.
Edouard Séguin naît à Clamecy le 20 janvier 1812. Il fréquente « mon » collège, puis celui d’Auxerre et enfin le lycée Saint-Louis à Paris. Il entreprend des études de médecine auprès de Jean-Gaspard Itard (1774-1838) père de l’oto-rhino-laryngologie et précurseur de la pathologie mentale infantile. Il se consacre pendant 11 ans à l’éducation de Victor, le jeune « sauvage » de l’Aveyron (cf. le film « L’enfant sauvage » de François Truffaut), au moyen d’une pédagogie curative, intensive et autoritaire, qui se termine en échec.
Mais cette tentative exemplaire sert de modèle à Séguin, qui saura la critiquer et la dépasser, alors que les aliénistes classiques, tel Esquirol, réduisent la psychiatrie infantile à une pathologie congénitale réfractaire à toute thérapie.
En 1839, Edouard Séguin rééduque un enfant et publie son expérience. En 1840, il est chargé de l’instruction des enfants idiots à l’asile de Bicêtre ; mais il doit cesser cette activité car il n’est pas médecin. En 1846, il écrit : « l’enfant idiot est infirme dans le mouvement, la sensibilité, la perception et le raisonnement, l’affection et la volonté : c’est par l’éducation que l’on doit réparer ». En 1847, il fonde à Pigalle le premier établissement destiné à une trentaine d’enfants arriérés, et met en application sa méthode qui consiste « à conduire l’enfant, comme à la main, de l’éducation du système musculaire à celle du système nerveux et des sens » (Traitement moral, hygiène et éducation des idiots. Paris, 1846).
Séguin préconise de bonnes conditions matérielles sur le plan de l’hygiène, nourriture, habillement et régime adapté à chacun. Il se trouve que les idiots sont trop immobiles ; d’où la nécessité d’une gymnastique qui permet aussi la prise de conscience des corps.
Il faut également faire travailler les sens. En premier, le toucher
qui apprend la température, la consistance, le volume et la dimension. Le
second est la vue, qui donne la notion des couleurs (invention d’une série de
barres dont se servira Maria Montessori), des formes géométriques et leur
avancement.
Séguin a remarqué que les enfants arriérés sont plus sensibles au son d’un instrument qu’à la voix. Des exercices éduquent l’ouïe en leur faisant discerner plusieurs notes, et ensuite différentes intonations de la voix.
Enfin naît l’initiation des saveurs et des odeurs. Pour ces dernières, il met en place une échelle et un classement repris par Maria Montessori (1870-1952), première femme médecin italienne, célèbre surtout pour ses dons de pédagogue. Sa formule vise à donner à l’enfant, normal ou anormal, l’éducation sensorielle, le développement de la mémoire et la liberté active sans contrainte de l’éducateur.
Selon E. Séguin, ce n’est pas l’accumulation de notions qui
donne l’intelligence et la pensée, c’est leur agencement et leur
corrélation ; il faut apprendre à créer des rapports : par des jeux
de construction ou l’apprentissage ludique et syllabique de la lecture et de
l’écriture. C’est par l’expérience que l’enfant développe son intelligence,
d’où diverses activités telles le soin des plantes et des animaux, dans une
atmosphère de profonde sympathie de l’entourage.
Mais nul n’est prophète en son pays. Après 1848, E. Séguin, qui a soutenu le
mouvement révolutionnaire, ne retrouve aucun poste en France et a de sérieux
problèmes financiers. Il part aux Etats-Unis où il crée une institution pour
anormaux. Il est conseiller auprès de différents pouvoirs politiques qui se
posent la question de la scolarisation d’enfants déficients. Il visite
plusieurs écoles fondées sur le modèle de la sienne. En 1861, il obtient un
diplôme de Docteur en Médecine décerné par l’Université de New York.
En 1866, Séguin étudie la chaleur animale et la
thermométrie, approfondissant les connaissances sur ce sujet et imaginant un
thermomètre médical qui sera perfectionné la même année par l’anglais Sir T.
Albrett, encore en vigueur récemment.
En 1873, il fait partie de la commission américaine présente à l’Exposition
universelle de Vienne. Il est président de l’Association américaine des
officiers de santé pour les idiots et les faibles d’esprit. Parallèlement, il
publie de nombreux ouvrages et études sur l’éducation des enfants, posant les
bases de ce que nous appelons maintenant les « méthodes actives ».
Edouard Séguin meurt le 28 octobre à 1880 à New York. Il n’aura jamais la notoriété de Maria Montessori, qui adopta la plupart de ses méthodes éducatives.