André Giroud
de Villette
(1752-1787)
Pionnier de l’aéronautique
Une plaque apposée sur l’une des maisons anciennes de la rue du Grand Marché à Clamecy, par les soins de la fédération Morvandelle du Tourisme, perpétue le souvenir de André Giroud de Villette, compagnon de Pilâtre de Rozier, qui, le 19 octobre 1783 à Paris, fit la première ascension en ballon.
« L’an 1752, 17 décembre, Guillaume Nicolas André, né ce jour, fils de Jean-Baptiste Giroud, marchand, et de dame Jeanne Buisson, a été baptisé par moi, vicaire soussigné… (illisible). »
Son père était « changeur » par autorisation royale. Sous l’Ancien Régime, l’une des attributions des changeurs, outre celle de changer les monnaies les unes contre les autres, était de cisailler les pièces défectueuses et les monnaies étrangères dont le cours était interdit. Les clamecycois, très amateurs de surnoms, appelaient J.B. Giroud de Villette « Lingot d’or », sans doute à cause de sa fortune. Honorablement connu, il fut pendant un temps échevin de la cité.
Le jeune André fréquente le collège de Clamecy, qui a une excellente réputation. En 1757, le collège bénéficie de la protection de l’Université de Paris, et en février 1764, il est érigé en École Royale.
André Giroud de Villette révèle un goût marqué pour les études, en particulier pour les sciences physiques et la chimie. Clamecy n’offrant que peu de perspectives d’avenir, il doit quitter sa ville natale et « monter » à Paris dans l’espoir d’obtenir un emploi correspondant à ses goûts et capacités. Il a dans sa poche une lettre de recommandation destinée à M. de Révillon, ami de la famille. Ce dernier est un industriel parisien à la tête d’une très importante manufacture de papiers peints, employant près de 3000 personnes, implantée près du Faubourg Saint-Antoine, à la « Folie Titon ».
Rapidement, M. de Réveillon apprécie les connaissances et l’ouverture d’esprit du jeune clamecycois, qui devient le collaborateur, l’ami et bientôt l’associé de l’industriel. Giroud de Villette déploie une activité exceptionnelle et met tout en œuvre pour créer à Madrid, malgré de grandes difficultés de transports, la première manufacture espagnole de papiers peints. La pleine réussite de cette entreprise lui vaut d’ailleurs l’estime du roi d’Espagne qui le nomme « Embellisseur des Palais Royaux ». Travailleur acharné, il partage son temps entre la manufacture madrilène et celle du Faubourg Saint-Antoine.
C’est à la « Folie Titon », mise à la disposition des frères Montgolfier, que Giroud de Villette, physicien, chimiste et passionné de sciences appliquées, va être un témoin engagé s’inscrivant dans l’histoire de l’invention des aérostats dus à Joseph et Etienne Montgolfier. Aucune des grandes conquêtes de l’homme n’a été aussi rapide et complète en son développement. Il s’agit bien de l’extension des possibilités humaines et d’une pénétration dans un élément jusqu’alors inviolé.
Le 5 juin 1783, les frères Montgolfier invitent l’Assemblée des États du Vivarais à Annonay à assister à l’ascension de leur nouveau globe de 11 mètres de diamètre. L’enthousiasme provoqué par cet appareil, appelé « La machine » attire l’attention des physiciens de l’Académie des Sciences de Paris. D’autres expériences suivent, dont celle du 11 septembre 1783 où l’aérostat est mis en pièces par le vent et la pluie.
Le roi Louis XVI s’intéresse à cette invention ; mais il interdit que la « machine » transporte un être humain. Le 19 septembre, devant le Roi et la Cour, un globe spécialement aménagé avec une cage d’osier permet de prendre à bord un mouton, un coq et un canard. Après un vol de 8 minutes, la « machine » retombe dans les bois de Vaucresson à trois kilomètres de son point de départ. Les animaux ayant parfaitement supporté le voyage, des expériences humaines peuvent être enfin envisagées.
Ami des frères Montgolfier, M. de Réveillon met à leur disposition les jardins de sa propriété. Ainsi, Giroud de Villette, témoin enthousiaste, côtoie journellement ceux qui mettent au point la superbe machine dite « Le Réveillon ». Une machine que nous décrit le géologue Faujas de Saint-Fond : « Sa forme était ovale, sa hauteur de 70 pieds (environ 23 mètres), son diamètre de 46 pieds (13 mètres) et sa capacité de 60 000 pieds cubes (2000m3). La partie supérieure, entourée de fleurs de lys, était ornée des 12 signes du zodiaque en couleur d’or. Le milieu portait les chiffres du Roi entremêlés de soleils ; et le bas était garni de mascarons, de guirlandes et d’aigles déployés qui paraissaient, en volant, supporter cette sphère à fond d’azur. » Pour finir, une galerie circulaire en osier et toile d’un mètre environ. Dans l’axe, une ouverture de 4 mètres permettait de fixer avec des chaînes un réchaud destiné à fournir du gaz provenant de la paille et de la laine brûlée, fournissant la force ascensionnelle nécessaire.
Début octobre 1783, Etienne Montgolfier procède à des essais « terre à terre » se réduisant en « gonflements et soulèvements à quelques pieds du sol ». Le 15 octobre 1783, François Pilâtre de Rozier se porte volontaire pour prendre place dans la galerie et se laisser enlever jusqu’à la hauteur des cordes qui retiennent la « machine », soit 80 pieds (environ 26 mètres) où il restera durant 4 minutes et 25 secondes ; puis il redescendit doucement. Une seconde expérience est recommencée le lendemain devant une brillante assemblée. Enfin le 19 octobre, jour décisif, Pilâtre s’élève seul à 250 pieds (81 mètres) descendant et remontant à volonté en réglant le feu ; puis il renouvelle l’exploit, cette fois accompagné d’un passager ami, Giroud de Villette, notre clamecycois. Comme on avait allongé les cordes, leur montée s’éleva à 324 pieds (105 mètres) et leur séjour aérien, dans le plus parfait équilibre, dura 9 minutes.
La machine était superbe à cette hauteur ; elle dominait Paris et était vue de tous les environs. Sa grandeur ne paraissait pas avoir diminué aux yeux des spectateurs placés dans les jardins du Faubourg Saint-Antoine ; mais les hommes étaient peu visibles. Avec l’aide de le lunettes, on distinguait Pilâtre de Rozier, occupé à produire du gaz avec autant d’intelligence que d’ardeur.
De retour sur la terre ferme, les expérimentateurs reçoivent des applaudissements mérités pour leur zèle et leur courage. Le « Journal Officiel » n° 299 du 26 octobre 1783, déposé à la Bibliothèque Nationale, relate cette ascension. Quelques jours plus tard, les rédacteurs du Journal de Paris, qui ont couvert l’événement, reçoivent deux lettres qu’ils publient. La première est des Montgolfier, rapportant l’action du vent sur l’expérience ; la seconde est de Giroud de Villette donnant ses impressions : « Le 19 du courant, en qualité d’adjoint de la manufacture royale de M. de Réveillon, j’ai obtenu de ces Messieurs la gracieuse permission de monter dans la partie du panier opposée à celle où était M. Pilâtre de Rozier pour lui servir de contrepoids… Je me suis trouvé presque dans l’intervalle d’un quart de minute élevé à 400 pieds (environ 130 mètres) de terre suivant le rapport que l’on m’a fait ; nous restâmes dans cette position pendant dix minutes. Mon premier soin, Messieurs, fut d’admirer, à la faveur d’un trou large de 4 pouces (10,8cm) le physicien intelligent que j’avais l’honneur d’accompagner ;son courage, son agilité, ses talents à bien manœuvrer et conduire son feu m’enchantèrent. En me retournant, je distinguais les boulevards depuis la porte Saint-Antoine jusqu’à la porte Saint-Martin, tous couverts de monde, qui me paraissaient former une plate-forme allongée de fleurs variées. La rue Saint-Antoine, les jardins qui nous environnaient me représentaient la même chose ; ensuite, voulant m’occuper du sujet qui m’avait engagé à faire ce voyage, je promenais ma vue dans le lointain. D’abord je vis la butte Montmartre qui me semblait moitié plus basse que notre niveau ; je découvris facilement Neuilly, Saint-Cloud, Sèvres, Issy, Ivry, Charenton et peut-être Corbeil, que le léger brouillard m’a empêché de distinguer. Dès l’instant, je fus convaincu que cette machine peu dispendieuse serait très utile dans une armée pour découvrir la position de celle de son ennemi, ses manœuvres, ses dispositions et les annoncer par signaux aux troupes alliées de la machine. Je crois qu’en mer il reste également possible, avec des précautions, de se servir de cette machine. Voilà, Messieurs, une utilité incontestable que le temps nous perfectionnera ; tout mon regret est de n’avoir pas pensé à me munir d’une lunette d’approche ».
Giroud de Villette fait preuve d’une grande lucidité en prévoyant l’utilisation de l’aérostation. Un autre bourguignon, le dijonnais Guyton de Morveau est l’instigateur des ballons d’observation en campagne. En 1794, le ballon « L’Entreprenant » contribue à la victoire de Fleurus en donnant en permanence aux troupes de Jourdan, des renseignements sur les positions de l’armée autrichienne.
La prochaine entreprise envisagée est le premier voyage aérien en ballon libre, qui offre de réels dangers dans les airs et… sur terre. Louis XVI s’y oppose et demande au Lieutenant de Police d’empêcher le départ. Puis il accepte que l’expérience soit tentée… avec des condamnés à mort. Pilâtre de Rozier s’indigne à cette proposition. Il sollicite le concours de Giroud de Villette qui refuse pour des raisons demeurées inconnues. Il sera donc accompagné par le marquis d’Arlande qui a déjà fait avec lui une ascension en ballon captif.
Le 21 octobre 1783 à une heure de l’après-midi dans les jardins de la Muette près de Paris, deux hommes pour la première fois prennent congé de la terre pour atterrir à la Butte aux Cailles (dans notre 13e arrondissement actuel).
Les raisons ayant motivé le refus de participer à ce premier voyage en ballon libre resteront toujours obscures. Plusieurs hypothèses ont été émises : la peur d’affronter de nouveaux dangers paraît exclue : notre clamecycois ayant prouvé son audace et son courage ; sa « curiosité de savant » ayant été satisfaite par la première expérience ? Pilâtre de Rozier, homme de Cour (il était Intendant du Cabinet d’Histoire Naturelle et de Physique de Monsieur, futur Louis XVIII) a t’il préféré la compagnie du Marquis d’Arlande dont le rang était plus élevé sur l’échelle nobiliaire et mieux introduit que Giroud de Villette, personnalité modeste, dont le principal souci était la recherche et la gestion des deux manufactures, dont celle d’Espagne dont il était le fondateur ?
C’est lors d’un séjour à Madrid qu’il ressent les premiers symptômes du mal qui devait l’emporter. Il meurt à Paris en 1787 à l’âge de 35 ans. Il est inhumé au cimetière Sainte-Marguerite (qui recevra quelques années plus tard le Dauphin du Temple), au cœur du Faubourg Saint-Antoine témoin de son exploit.
Sa ville natale, Clamecy, lui a rendu un hommage tardif en donnant son nom à un établissement scolaire qu’il n’a pas connu. Hommage modeste si l’on considère que la découverte du ballon a permis à l’homme de vaincre les lois de la pesanteur, qui semblaient l’attacher à jamais à la surface de notre terre. Elle devait apporter à l’humanité des ressources immenses que ses inventeurs et ses pionniers furent loin de soupçonner à l’époque.