Le magazine "La Nature" en faisait la description suivante dans son édition du 29 octobre 1887 (pages 344-346) sous la signature "E.H.".
Si l'éclairage est, sans contredit, la plus importante application des distributions d'énergie électrique, elle n'est pas la seule, et nous n'en voulons pour exemple que l'ingénieux petit chemin de fer établi par M. Gaston Menier dans sa salle à manger et qui complète d'une manière très heureuse l'installation d'éclairage que nous avons fait connaître antérieurement (voir n°574 du 31 mai 1884, p. 418). Disposant d'accumulateurs toujours chargés et prêts à fonctionner, M. Gaston Menier a combiné et fait construire un petit ensemble que nous allons décrire et qui lui permet de faire facilement et rapidement tout le service d'un repas, sans qu'aucun domestique ne pénètre dans la salle à manger. Un train, passant et s'arrêtant devant chaque convive, accomplit rapidement et discrètement, sous la direction du maître de la maison, toutes les manoeuvres essentielles d'un service ponctuel et bien ordonné. Ce train qui va de l'office à la table et de la table à l'office pour apporter les plats, les remporter, apporter les assiettes, etc., comprend deux parties essentielles : la voie et le véhicule. La voie se compose de quatre rails parallèles montés sur des planchettes en chêne ajustées bout à bout et en nombre proportionné à la longueur de la table, c'est-à-dire au nombre de convives. Les deux rails extérieurs reçoivent les roues du train, ils sont isolés l'un de l'autre, et en communication avec l'inducteur du moteur dynamo-électrique. Les deux rails intérieurs sur lesquels roulent des petits galets de contact mettent la source électrique - une batterie de 20 accumulateurs dans l'espèce - en communication avec l'induit du moteur par l'intermédiaire d'un commutateur placé à à la droite du maître de la maison, permettant d'arrêter le train ou de changer le sens de sa marche par un simple changement de sens du courant dans l'induit. Les planchettes en chêne sur lesquelles sont fixés les quatre rails reposent sur des supports placés de distance en distance et qui élèvent la voie à 10 centimètres environ au-dessus du niveau de la nappe : le vide ainsi ménagé au-dessous de la voie est utilisé pour placer les objets usuels du service - couverts, salières, etc. Bien que les huit roues qui supportent le train forment deux boggies placés à ses extrémités, la longueur de la plate-forme étant de 75 centimètres, il serait difficile de faire décrire à ce système une demi-circonférence à l'extrémité de la table, car le rayon de cette courbe aurait à peine 40 à 45 centimètres. Le problème a été résolu en remplaçant la courbe par un aiguillage automatique. La voie partant de l'office où se dressent les plats sur le train traverse un petit tunnel et arrive dans la salle à manger : le train rencontre un premier aiguillage où la voie se partage en deux parties qui passent respectivement à droite et à gauche devant chaque rangée de convives (dans la figure 1, les convives desservis par la voie de droite, ou voie d´arrivée, ont été supprimés pour dégager la table - Les surtouts qui garnissent ont également été enlevés pour mieux montrer les dispositions de la voie). À l'extrémité opposée, les deux voies se réunissent en une seule, de façon à former un chemin fermé. Les deux aiguillages sont maintenus dans une position donnée par des ressorts, et la voie est toujours faite d´un même côté. Lorsque le train rencontre un aiguillage dans un sens, il le franchit en faisant lui-même l´aiguillage, mais lorsqu´il revient en arrière et rencontre l´aiguillage en pointe, il s´engage sur la seconde voie. Le train fait donc le tour de la table dans le sens inverse des aiguilles d´une montre, en allant de gauche à droite et de droite à gauche sur la voie de gauche ou voie d´arrière, celle devant laquelle sont les trois convives représentés figure 1. Il va sans dire que le train engagé sur l'une des voies desservant chacune des deux rangées, peut parcourir cette voie à volonté dans les deux sens, mais pour le faire passer d´une voie sur l'autre il doit nécessairement franchir l'aiguillage de droite, qui se trouve le plus éloigné de l'office. L'écartement de la voie est de 115 millimètres, largeur suffisante pour assurer une stabilité satisfaisante au matériel roulant sans encombrer la table.
Le train (fig. 2) se compose d´une plate-forme de 75 centimètres de longueur et de 22 centimètres de largeur pivotant sur deux boggies : l'un de ces boggies porte le moteur, le second boggie n'étant qu'un truck à deux essieux servant de support. Le moteur dynamo-électrique actionnant le bogie moteur est constitué par une double bobine en T, genre Siemens ; l'emploi de deux bobines calées à angle droit évite les points morts et assure le démarrage dans toutes les positions. Les quatre roues du boggie sont couplées par des bielles pour augmenter l'adhérence, et commandées par un engrenage qui réduit leur vitesse dans le rapport de 1 à 9. La dépense d'énergie électrique est insignifiante car le courant ne dépasse pas 0,5 à 0,6 ampère, avec une force électromotrice de 36 volts. Le train pèse 7 kilogrammes à vide et peut porter 25 kilogrammes. En intercalant des résistances dans le circuit, on peut faire varier la vitesse normale entre 10 centimètres et un mètre par seconde. Le démarrage et l'arrêt sont très rapides et la simple inversion du courant permet de porter très vivement le train d´un point de la table à un autre. C'est merveille de voir avec quelle docilité le train obéit instantanément aux ordres du maître de la maison faisant ainsi lui-même le service, par la manoeuvre habile d'un commutateur placé sous sa main. C´est là un raffinement de confortable et une gracieuse politesse qui donne au repas un caractère tout particulier d´animation et d´intimité. Cette installation nous offre aussi un nouvel exemple des mille services que peut rendre l'électricité dans la vie domestique ; nous devons remercier M. Gaston Menier de nous avoir offert l'occasion d'apprécier le charme et l'agrément de cette curieuse et intéressante application. E.H.
D'après F. Caradec, le chemin de fer électrique de table de G. Menier fonctionna longtemps par la suite à l'hôtel du Midi à Annonay (Ardèche).
On notera au passage que le petit train était en "2 rails" (déjà) isolés, et que la voie à l'écartement de 115mm indique un rapport de réduction d'environ 1/12è par rapport à la voie normale.
Grâce à une enquête diligentée par M. André Delaitre, nous sommes en mesure d'affirmer que l'auteur de cet article - signé "E.H." - est M. E. Hospitalier (1853-1907), ingénieur des arts et manufactures, chevalier de la Légion d'Honneur et spécialiste des questions électriques au journal "La Nature". Il fut notamment l'auteur de l'ouvrage "L'électricité dans la maison" publié dans la collection "La Bibliothèque de La Nature" (1885).
"Malheureusement, cela ne marchait pas toujours et l'on se souvient encore de mémorables accidents : au cours d'une visite d'une visite du vice-roi des Indes, le petit train devint subitement fou, projetant les sauces dans toutes les directions sur les invités dont la moitié dut ensuite passer aux douches..."
[...] "Le maharajah Madho Scindia a droit à notre respect : ce fut un des plus grands amateurs de farces et attrapes du monde et, à Gwalior, le premier avril était devenu pratiquement fête nationale".
Joseph Martin ajoute cette précision : "Fonctionnant à l'électricité, ce train parcourait la table avec une cargaison de bouteille. Lorsque l'un des convives soulevait la bouteille qu'il avait choisie hors d'un wagon, le train s'arrêtait et ne repartait que la bouteille remise en place. La locomotive, les wagons et la voie étaient en argent massif".
N'étant pas un spécialiste du "Tin Plate" Américain des origines, le matériel roulant "3 rails" - probablement du commerce - m'est inconnu. Peut être du Lionel à l'échelle I ?
Quelques vues extraites du film :
Plus d'infos sur "Electric House" dans l'Internet Movie Data Base
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Created: 01/05/11
Last modified: 02/06/28