« Vous marchez sur un pont, vous entrez dans un tableau ».
En traversant pour la centième (millième ?) fois ce midi la place de l’Europe à Paris, je me suis remémoré ce commentaire de l’excellent documentaire d’Alain Jaubert consacré à Gustave Caillebotte. Caillebotte avait peint en 1876 ce qui était encore un pont métallique (remplacé dans les années 1930 par un ouvrage en béton) :
Toujours surprenant de constater combien ce petit coin du VIIIe arrondissement a inspiré les artistes : Claude Monet, fasciné par la modernité des fermes Polonceau des halles de la Gare Saint-Lazare, construites par Eugène Flachat, Manet aussi, et Marcel Proust qui dans A l’ombre des jeunes filles en fleur décrivait ainsi le déchirement des départs, que seul un casanier peut comprendre : « Il faut abandonner toute espérance de rentrer coucher à la maison une fois que l’on s’est décidé à pénétrer dans l’antre enfumée par où l’on accède au mystère, dans un de ces grands ateliers vitrés comme celui de Saint-Lazare où j’allai chercher le train de Balbec, et qui déployait au-dessus de la ville éventrée un de ces immenses ciels crus et gros de menaces amoncelées de drame, pareils à certains ciels, d’une modernité presque parisienne, de Mantegna ou de Véronèse, et sous lequel ne pouvait se dérouler que quelque acte terrible et solennel, comme un départ en chemin de fer ou l’érection de la Croix ».
Gares : « lieux merveilleux et tragiques« .
Plus prosaïquement : n’oublions pas que le pont/place de l’Europe a engendré nombre de vocations de ferroviphile, contemplant dans le vent et le froid au fil des époques Ouest, Etat, SNCF, et maintenant TER Haute/Basse Normandie les évolutions des rames dans une des gares les plus fréquentées de la planète (hors jours de grève). Un parmi des milliers : Pierre Delarue-Nouvellière.
« Vous marchez sur un pont, et vous entrez dans un tableau.
Vous ne le savez pas,
ou bien vous le savez.
Où est la différence ? »
– Alain Jaubert op. cit.