Archive pour août 2013
Reçu aujourd’hui la dernière lettre d’information de Motor Books, la librairie londonienne spécialisée dans la littérature ferroviaire, mais aussi automobile, aviation et maritime, qui annonce :
« Due to the harsh economic realities affecting specialist independent high street booksellers, we are sad to announce that after sixty years we will shortly close our doors to our West End ‘MOTOR BOOKS’ store. »
[En raison de la dure réalité économique qui frappe les libraires spécialisés indépendants ayant pignon sur rue, nous avons la tristesse de vous annoncer qu’après soixante ans nous allons fermer notre boutique Motor Books du West End]
La nouvelle n’était pas une surprise. Lors de mon dernier passage au début de ce mois d’août 2013 dans les locaux du 13/15 Cecil Court, il était évident que l’échoppe n’était plus que l’ombre d’elle-même. Réduite à une seule boutique, l’autre ayant été cédée à St Martins Models (modélisme automobile), Motors Books avait sévèrement réduit la voilure. Le rayon ferroviaire, jadis une référence, avait réduit comme peau de chagrin et se résumait à quelques étagères à moitié vides.
Motor Books et St Martins Models, Cecil Court, en août 2013
Sic transit ! J’avais fréquenté la boutique assidûment pendant les années 80-90, à l’époque située dans la rue parallèle Saint-Martins Lane. Dans les années 2000, le commerce migra au 13/15 Cecil Court. C’était une étape incontournable lors du week-end annuel que nous consacrions avec quelques amis ferroviphiles à visiter l’exposition Eurotrack de Southampton. Suivant un rituel immuable, délaissant femmes et enfants, nous partions aux aurores de Paris pour atterrir à Heathrow. Nous engouffrant dans la Piccadilly line, nous faisions une première étape à Northfields dans une boutique de modélisme ferroviaire tenue par un chinois (pas mal d’occasions, dont du Jouef VE), puis nous filions jusqu’à Leicester Square pour rejoindre St. Martins Lane. En cette époque pré-Internet, nous y faisions le plein d’ouvrages ferroviaires anglophones introuvables en France. Chargés comme des bombardiers partant en mission, nous courions ensuite chez Plummer’s, un restaurant Victorien – lui aussi disparu – à Covent Garden avant d’attraper le train du soir pour Southampton à Waterloo. L’arrivée d’Eurostar modifia sensiblement notre itinéraire, nous faisant arriver à Waterloo et délaisser Northfields, mais nous donnant l’occasion d’admirer les rames EMU de Network Southeast sur le Hungerford Bridge.
Mais revenons à Motor Books…
Disons le tout de suite, nous ne fréquentions pas Motor Books pour l’accueil chaleureux du personnel, plutôt glacial et hautain, qui n’était pas sans rappeler celui pratiqué dans les boutiques de vêtements de Jermyn Street ou de Savile Row. Il y avait en plus des règles non écrites qu’il ne valait mieux pas transgresser. Le silence quasi-absolu était de rigueur, on ne devait s’adresser au personnel pour un renseignement qu’en respectant le protocole de la Cour Impériale du Japon (avec stupeur et tremblements). Mais surtout, surtout, il ne fallait emprunter sous aucun prétexte un certain escalier… A l’époque de St Martins Lane, chacune des boutiques jumelles avait un escalier donnant accès au sous-sol, l’un abritait le rayon des livres ferroviaires américains, l’autre un local mystérieux dont l’accès était strictement réservé au personnel (Quel était son usage ? Réserve ? WC ? Bar clandestin ? Je ne l’ai jamais su). Malgré une profusion de panneaux « No Entry/Staff Only », tous les jours une dizaine de clients distraits tentaient la descente dans le Saint-des-Saints. Lassée de ces débordements inqualifiables, la direction de Motor Books affecta un de ses employés, une sorte de Niebelung, à la surveillance de l’escalier sacré. Le Niebelung, perché sur une chaise haute, semblait être plongé dans le pointage d’interminables listings. Mais il ne fallait pas s’y tromper, sa véritable mission était toute autre : dès qu’un client novice faisait mine de s’approcher de l’escalier maudit, le Niebelung entrait dans une colère sacrée vis à vis de l’audacieux, s’exprimant en des termes fort peu courtois, brisant le silence sépulcral des lieux et faisant esquisser un léger sourire aux clients « initiés »…
Nonobstant ces quelques désagréments, Motor Books était le Xanadu du ferroviphile, non seulement pour les mânes du rail anglo-saxon, mais aussi pour les amateurs de bizarre. A la grande époque, entre l’intégrale des publications Ian Allan, la collection complète des petits formats de Oakwood Press et l’abondante littérature consacrée au Great Western Railway (2,50m linéaires d’étagères au minimum), l’amateur de curiosas pouvait dénicher une monographie sur le Földalatti de Budapest (premier métro d’Europe continentale)
Le Földalatti à Budapest en 1896
ou une étude richement illustrée sur les inclines (funiculaires) qui escaladaient les sept collines de Cincinnati(Ohio), hissant hommes, femmes, enfants, chevaux et tramways.
Un incline de Cincinnati en 1907
Chassé par les prix démentiels des baux commerciaux dans le West-End de Londres, Motor Books n’aura plus désormais qu’une « fenêtre sur Web ». Cette institution arrivera t’elle à survivre face à la concurrence de structures plus petites, comme l’excellent Transport Diversions, ou celle encore plus redoutable des cottages business ? Rien n’est moins sûr.
Une seule certitude : la fermeture définitive de la boutique et la disparition du Niebelung (qui a dû se perdre lors du déménagement entre St Martins Lane et Cecil Court) sont autant de signes de la fin d’une civilisation…